Voyage 2005 - 2007

de Caramel

CHAPITRE 01 : FRANCE - BALERARES - GIBRALTAR - CANARIES


Le départ

« Rafales à 65 nœuds », le bulletin de Monaco Radio est explicite. Le mistral bat son plein en ces derniers jours de juin 2005. Catherine et moi arrivons épuisés par les travaux tous azimuts afin que notre vie prenne un nouveau tournant. Depuis plus de 6 mois, chacun vaque aux préparatifs.


Il y a bien sûr la préparation du nouveau voyage de Caramel : récolte de documentation pour le parcours projeté, recherche d'équipiers, d'équipements complémentaires et pièces de rechange sur base de l'expérience de notre premier voyage et des conseils d'Amel, négociation avec les assureurs, etc… Mais également la vente de notre maison de Bruxelles, la recherche d'une maisonnette en France et l'aménagement qui s'en suit. Bref, nous avons traversé l’Hexagone dans tous les sens une bonne demi-douzaine de fois.


L'adieu aux amis a été cette fois d'un autre style. Pour le premier départ, nous les avions tous réunis pour un « Pot Luck » final, cette fois nous avons préféré les voir chacun à leur tour lors d'un déjeuner ou d'un dîner pour mieux profiter de ce contact.


La motivation et le stress ont permis de compenser le manque d'heures de sommeil et la fatigue qui s'ensuit. Tendre à un objectif : être prêt à temps. Caramel est paré, mais notre base arrière en Berry ne l'est pas. Catherine y veillera, elle rejoindra Caramel un peu plus loin sur la route.


C'est avec Alban, notre ami Jean-Yves et son fils Augustin que nous tirerons nos premiers milles sur la carte, si toutefois les prévisions météo s'avèrent exactes. Ce vendredi soir, Mistral souffle toujours sec mais Météo France nous annonce la fin des hostilités pour cette nuit. Chanceux Caramel. Samedi 02 juillet, les amarres sont larguées, le temps est beau et le vent a disparu. Adelante Caramel, vamos al Oeste.


Qu'il est bon de ne rien faire, de confier au pilote et à la brise Yanmar (moteur) le soin de nous amener à Port Miou, la première calanque de Cassis. Une jolie lumière, un cadre enchanteur, un bon dîner dans le cockpit arrosé par l'excellent blanc de Provence du Jas d'Esclan de mon cousin Matthieu. La vie serait-elle douce ? Enfin se détendre.


La journée de dimanche nous voit arriver au chantier de Navy Service à Port Saint Louis du Rhône. Car tout n'est pas terminé. Caramel a droit cette année à un traitement spécial. Le grattage de sa carène. Déjà neuf couches d'antifouling et l'année dernière, des plaques se détachaient par endroit jusqu'à la coque. Comme nous partons pour quelques années, il est judicieux de faire ce travail maintenant plutôt qu'en route afin de repartir sur une bonne base. C'est le cadeau de départ de Caramel.









Le carénage

Lundi 08H00, le travel-lift soulève les 20 tonnes de Caramel sur ses sangles. 08H20, il est calé à terre. 08H30 le mistral reprend toute sa vigueur. Chanceux Caramel.


Ce cadeau, n'est plus dans mes capacités physiques, alors Walter va faire un travail de titan. Armé d'un grattoir, de ses mains, de sa résistance et surtout de sa persévérance, il va gratter durant sept jours. Cm² par cm². Quand ses muscles faiblissent. Il chantonne pour se redonner du courage et réattaque. Conscient, je le chouchoute en eau fraîche et pensées positives.


Michel vient l'épauler pour la phase finale. Armés de ponceuses, ils ôtent les dernières traces de peinture et Caramel retrouve ses dessous blancs. La dernière phase est expédiée. C'est fou ce que peindre est plus rapide que gratter.









Pendant ce temps, je ne chôme pas. Je muscle sérieusement mon bras droit en passant au polish coque, pont et inox. Sept jours de frotti-frotta. Passionnant la plaisance ! Mais on ne se change pas, j'aime que les choses soient bien faites. Alban joue des variations de soupe aux oignons entre deux aquarelles et une randonnée à vélo au village.


Durant tout ce temps, le mistral donne de la voix. Agréable pour travailler. La veille de la mise à l'eau, il retombe aussi sec. Chanceux Caramel.


Cette mise à l'eau ressemble un peu à une procession, l'équipe qui a veillé au toilettage vient de sa propre initiative à l'heure dite et notre petit groupe suit Caramel qui traverse le chantier sous le travel-lift roulant. Amour du travail bien fait ou vœux de santé pour ce grand voyage, je prends les deux hypothèses sans m'interroger plus avant. Merci les gars, Caramel est pimpant.


Une heure après la mise à l'eau, l'équipage montant arrive en voiture. Celle qui nous manquait pour faire le plein de vivres avant le départ. Marie-Claire et Jean-Claude s'installent à bord. Quel timing, quelle organisation ! Chanceux Caramel.









La Méditerranée

14 juillet, la France festoie. Nous aussi, c'est le vrai départ. Pas de cap à virer cette fois, c'est tout droit au sud. Minorque est à 300 milles. Un vent du sud trop léger nous impose de démarrer la brise Yanmar. C'est normal, c'est la Méditerranée. Trop ou pas assez, vous connaissez la chanson. Je n'ai jamais hésité à avancer au moteur, c'est toujours plus sympa que de tirer des bords par vent fort. Du moins, c'est mon avis. On peut pratiquer toutes sortes d'activités plutôt que de se tasser dans le cockpit dans un ciré malodorant.


Parmi les loisirs communs à tous les types de temps, il est celui de regarder la mer. Bien nous en prend, car nous avons la chance de voir pour la première fois en Méditerranée, une baleine bondir à plusieurs reprises hors de l'eau, se mettre sur le dos et se laisser tomber dans un grand splash ludique, comme les baleines franches (mégaptères), mais celle-ci est d'une autre espèce plus petite. Une dévergondée de la bande vient même côtoyer Caramel en surface à une vingtaine de mètres. Elle est au moins aussi longue que le bateau. Impressionnant ! Chanceux Caramel.




Fornells est une de mes étapes préférées aux Baléares. La baie au Nord de Minorque est superbe et abritée, le village déjà un peu africain et les gens aimables. Il y a de la place pour tout le monde. D'ailleurs il n'y a pas grand monde. Nous y retrouvons des copains qui nous initient au Gin de Mahon.


La descente des Baléares continue gentiment, Majorque et Cabrera sont vite doublées. Nous voici déjà à Ibiza, le temps de s'y arrêter un peu, pour saluer des amis et nager un peu à Espalmador, l'île aux bains de boue sulfurée. Le mélange des genres humains est toujours aussi contrasté à Ibiza ... Mais ici non plus, il n'y a pas beaucoup de touristes cette année.


Le vent du sud passe au sud-ouest. Tiens, c'est la direction que nous devons suivre … Il se lève un peu et nous permet de voguer un peu vers l'île de Tabarka, un tas de cailloux le long de la côte espagnole.


Le vent reste dans le pif, juste dans le pif. Nous devons avancer, rendez-vous à Gibraltar oblige. Un coup de 6 à 7 beauforts nous arrête à Almeria pour 2 jours. Marie-Claire nous abandonne.


Jean-Claude est le parfait équipier de la coquerie. Il gère l'avitaillement, la caisse de bord et la cuisine. Quelque soit le temps, nous avons une entrée et un plat à consommer. Tout est fait dans la bonne humeur et la gaieté. Le reste de l'équipage s'occupe de la vaisselle, qui n'est du coup plus une corvée.


Nous partons un jour trop tôt (impatience de jeunesse ?), le vent est toujours fort en mer et nous alignons avec difficulté 30 milles en 9 heures dans une mer très agitée. Le près serré : deux fois la route, trois fois la peine… L'étape inattendue à Adra nous permet de faire une soirée tapas et gelateria (glaces).









Gibraltar

Nous pensions avaler la route jusqu'à Gibraltar en deux étapes, mais nous la ferons en étapes journalières. Le trajet paraît toujours nettement plus long. Le dernier jour de juillet, nous entrons dans la rade de Gibraltar pour nous amarrer à Queensway Marina sous le Rocher.


Fin de parcours pour Jean-Claude qui file prendre un bateau à Tanger qui le ramènera à Sète vers d'autres obligations terrestres. Premier Fish and Chips pour Alban et moi à Casemate square au pied du « Rocher », banderille d'Albion dans le ventre espagnol.


Je commence à retrouver le rythme de la vie à bord. C'est bon de s'arrêter après 970 milles et de prendre racine quelques jours. Il y a des bricolages à terminer à bord, du nettoyage et une course à faire chez un ship chandler local : prendre possession de la verge de Jean-Philippe qui est arrivée ici après son départ vers Madère. C'est promis J-F, nous prendrons soin de ta verge … d'ancre.


Une semaine à Gibraltar, cela suffit amplement pour faire le tour des grands classiques : Casemate square, Battery Park, le téléphérique et les singes, les balades sur Main street et une bière tiède avant une partie de billard. Les alcools, tabacs et matériels électroniques soi-disant sans taxes affichent un prix au moins égal à celui de France, car la marge prise au passage est gonflée et le change très arrondi.


On se demande vraiment pourquoi ce vent de folie immobilière tourne autour du Rocher. Pourquoi tant d'anglais veulent acquérir un appartement dans un des nombreux chantiers qui élèvent des groupes de 200 logements. A part des raisons fiscales, je ne vois pas. Les prix sont notoirement plus élevés que dans l'Espagne voisine, où beaucoup de leurs compatriotes élisent domicile.


De toute manière, on n'a pas pris le temps d'approfondir la question, car Benjamin vient d'arriver et le vent est passé à l'Est. On ne fait pas attendre le Sieur Eole, c'est être sensible et parfois lunatique. Surtout dans ce détroit étroit (poil au doigt !).










Traversée Gibraltar - Canaries

Samedi 06 août, nous quittons QueensWay Marina, la construction de son île artificielle et les boues de la darse. Le temps de faire un dernier avitaillement au marché couvert (c'est le seul endroit où les légumes sont convenables car espagnols) et le plein d'un gasoil vraiment détaxé.


Nous traversons directement le détroit pour longer la côte marocaine. Le courant de marée épaule les 30 nœuds de vent d'Est pour nous éjecter à plus de 11 nœuds sur le fond vers l'Océan enfin retrouvé. Caramel s'en lèche la proue, nous sommes enfin sortis de la Méditerranée.


Le phénomène d'accélération du vent dans le détroit de Gibraltar s'effondre gentiment au fur et à mesure de notre avance et la nuit s'installe avec un cortège de brises variables et inconstantes nécessitant le bon secours de la mécanique Yanmar.


Notre première journée sur l'océan marque la transition avec le ciel clair de Méditerranée. De bons gros nuages voyagent dans le même sens que nous. Leurs ombres rafraichissent.


La nuit, au loin sous l'horizon Est, des halos de lumière forment des champignons laiteux au-dessus des villes marocaines. Nous croisons pas mal de cargos, ce qui ôte à l'homme de quart l'envie de s'endormir. Notre nouveau petit radar AIS est une bonne trouvaille. Nous visualisons tous les cargos sans erreur dans un rayon de 30 milles (60 km) avec leur vitesse et leur direction clairement affichée. C'est mieux que le radar classique et cela ne consomme quasi rien (voir notre page technique sur le sujet).


Les navigations au large sont toujours synonymes de rencontres animales plaisantes. Le ballet des pétrels qui rasent les vagues du bout de l'aile, les labbes qui chalutent du bec dans les creux, les dauphins qui se regroupent à l'étrave pour se donner en spectacle et nous regarder d'un oeil fixe en pivotant le corps d'un quart de tour. Je suis assis à l'étrave, les jambes pendent à moins d'un mètre de leur dos. Un jour c'est certain, je plongerai pour nager parmi eux.


Une petite coryphène de 40 cm se suicide sur notre ligne de pêche à 18h30. Benjamin la vide et à 19h30 elle est mangée. Nous sommes des monstres !


Les nuits se ressemblent. Le vent tombe, la mer pas. C'est la recherche des bruits qui parasitent le sommeil. Pour l'homme de quart, c'est un moment propice pour lire et compter les étoiles filantes dans un ciel noir et éthéré. Madame la Lune ayant décidé de faire la grasse soirée toutes les nuits.


L'océan devient bleu intense et le ciel se moutonne joliment, à la mode alizéenne. Pourtant nous n'y sommes pas encore. C'est le moment propice pour entamer la lecture de « Météo & Stratégie» de Jean-Yves Bernot, un formidable condensé du savoir moderne sur une des grandes préoccupations des marins. Pour changer des mots croisés et des romans divers dont l'équipage se nourrit.


Une petite daurade mord en fin de journée, mais se détache avant d'être récupérée. Comme tous les soirs, le vent tombe. C'est notre quatrième et dernière nuit en mer. Les lueurs diffuses de Lanzarote sont au-dessus de notre étrave. Nous arriverons dans la nuit.


Je jette un coup d'oeil au Navtex (récepteur météo et avis urgents aux navigateurs). Encore une annonce d'un homme à la mer. Celui-ci est tombé d'un ferry entre Tenerife et La Gomera. C 'est le troisième homme à la mer en 8 jours !


Chacun de ces messages fait froid dans le dos. De plus, le Navtex ne donne jamais un message positif du genre « Le naufragé du ferry Untel est rescapé ». Non, rien. Les messages se terminent de manière cynique : « Prière de regarder avec attention sur la zone et de rapporter toute information auprès de … ». Par ces nuits noires, on imagine aisément l'issue fatale du drame.


L’homme à la mer est – et de loin – l’accident qui fait le plus de victimes sur l’eau. C'est la raison pour laquelle Caramel interdit à ses équipiers mâles de se soulager la nuit par-dessus son bastingage. Bon Prince, il autorise l'usage des toilettes.


02h45. Incroyable. La plus grosse étoile filante que j'ai jamais vue plonge dans l'Est. Elle est tellement grosse que j'ai nettement vu pendant 2 secondes une queue de flamme derrière la boule de feu. Caramel a aussi une queue phosphorescente : son sillage dans le zooplancton est couleur de lune.


La masse sombre des falaises du nord de Lanzarote monte dans la nuit. Sur tribord, Gracioza la bien nommée se fait discrète, pas un phare, pas une lumière humaine. Caramel se glisse dans le détroit entre les îles et plonge son ancre dans la bahia de Salado sur le coup de 04h15. Salut les Canaries. Caramel is back !









La Graciosa

La Graciosa est toujours aussi belle, tellement en dehors du temps. Les sabliers y coulent plus lentement qu'ailleurs. Entre ciel et mer, la vue sur les falaises brique et ocre de Lanzarote est somptueuse.


Nous prenons place à quai dans le petit port au nom incongru de La Sociedad. Quelques pontons modernes mais inachevés dans un décor de sable et de lave. Notre voisin est Roger sur « Est d'Eden ». Un canadien qui navigue depuis deux ans en Europe. C'est un lecteur du site de Caramel. La conversation est vite engagée.


Depuis quatre ans, pas mal de petites maisons se sont construites dans le village, mais dans le respect de celles existantes : basses et plates. Les rues sont toujours pavées de sable. C'est parfait pour que Benjamin, Alban et moi puissions faire des parties de pétanque en fin de journée, sur la route de la plage et sous les commentaires avisés des estivants. Ah la Petanqua ! Au terme de trois jours de parties, nous ne sommes pas départagés. Il est temps de larguer les amarres et de naviguer au moins trois heures pour accoster sur Lanzarote.









Lanzarote

Nous connaissons Arrecife et son quai délabré. Pas la peine d'y retourner. Les voyages ayant formé la jeunesse. Cap sur Puerto Calero, La marina est en cours d'agrandissement. A l'entrée du port, les pelles mécaniques mettent une dernière main à un nouveau bassin qui permettra d'accueillir plusieurs pontons.


Caramel reçoit le même amarrage qu'à sa dernière visite. L'accueil est toujours aussi aimable, la qualité du port irréprochable, tout comme son service de surveillance.


Nous sommes témoins ce matin d'un évènement rare : il pleut sur Lanzarote. Durant 20 minutes, une averse tombe dru, accompagnée du tonnerre.


Catherine arrive de Paris en fin de journée. Nous avons juste le temps de laver le pont pour la recevoir. Elle a loué une auto à l'aéroport et fait le guide pendant deux jours pour faire visiter à l'équipage le Parc national de Timanfaya (volcans), la maison de César Manrique et les vignobles de la vallée de la Geria. Les must de l'île.


La nature minérale, austère et violente de Timanfaya est fascinante. La première éruption connue de l'île a commencé en 1730 et s'est achevée en 1736. La seconde date de 1824. On peut se demander si les autorités ne prennent pas un risque en autorisant l'explosion urbanistique du sud de l'île. Toute la région de Playa Blanca est en effervescence immobilière. Le béton coule momentanément à la place de la lave. 1730 – 1824 – rien en 1925 – quid en 2025 ? A Timanfaya, la température de la terre est de 600°C à 10 m sous terre … Je n'investirais pas aujourd'hui dans de la brique à Lanzarote.


Heureusement si l'essor immobilier est galopant, les gabarits restent contrôlés et homogènes. L'ensemble s'étale beaucoup, mais ce n'est pas moche. L'esprit insufflé par l'architecte Manrique lui survit. Plus qu'une carte de visite, il devient l'âme de l'île.


Nous avons la chance de tomber sur les jours de vendange dans la vallée de la Geria. Le raisin blanc de Malvoisie s'entasse en cageots dorés dans les cours des viticulteurs. Notre visite aux chais d'El Grifo est un plaisir pour le palais et pour les yeux.




Lanzarote, c'est aussi le début des rencontres sympathiques ou originales. Des gens hors du commun ou ceux que l'on va encore rencontrer régulièrement dans les mois qui vont suivre.


C'est le cas de «Pictoris». Madeleine et Alain ont dépassé les soixante-dix printemps. Après un premier tour du monde, ils repartent en mer avec des projets pour les trente années à venir. Ce qu'ils préfèrent, ce sont les traversées. Si possible de plus de deux mois …


«Naxos», un bateau belge immatriculé au port de Namur (!) et mené en solo par son skipper pour une virée aux Antilles tous les deux ans.


«Barataria», le Nordia 54 de Vlad. Il se dit gréco-américain, mais parle l'anglais comme une vache espagnole. Baraqué comme une armoire à glace, la gueule d'un tueur à gage des Carpates, il promène son déplacement lourd et ses conquêtes féminines autour du monde et en ligne droite. Pas besoin de passer par le Brésil pour remonter d'Afrique du Sud en Europe. « Tu vises St. Hélène, puis les Canaries, puis les Açores, ensuite tu tournes à droite » Et il l'a fait. Bon d'accord, «Barataria» déplace 36 tonnes, mais tout de même !


Après une courte visite de courtoisie à deux catamarans qui seront nos compagnons de route pour le Rallye des Iles du Soleil 2005-2006, nous quittons Puerto Calero pour les plages de Papagayo en compagnie de Lorenzo qui navigue en solo sur son Lagoon 38. Au dernier moment, sa femme n'ayant pas largué les amarres en même temps que le bateau. Triste histoire d’un rêve mal partagé.




L'Atlantique, c'est bien pour voguer, mais aux Canaries, les mouillages ne sont pas protégés. Donc la nuit, le bateau roule et nous aussi….Catherine râle, son dos aussi. Après deux nuits, nous décidons d'investir Puerto Rubicon et jauger cette nouvelle marina ouverte en 2003.


Nous tombons immédiatement sur le bon ponton. Claude et Jacques viennent nous accueillir. Jean ne tarde pas à arriver. Nous sommes bien entourés.


Jacques et Nicole ont fait fort. Ils n'ont jamais fait de bateau mais au hasard de vacances à Lanzarote, ils ont acheté une place de port ici, puis un bateau pour la garnir ! Jacques est très doué et apprend très vite. Garçon serviable et adorable, sa devise pourrait être : « Les ennuis de mes amis sont mes ennuis ».


Jean a un Super Maramu depuis deux ans. Il réalise quelques travaux d'entretien. Quelques outils et pièces de rechange de Caramel le dépannent. Jacques nous montre son savoir faire et son talent, en digne technicien suisse.


Le second soir, Benjamin m'invite à prendre un verre sur le port, au Café del Mar local. Malencontreusement, sa carte Visa tombe sous la table lors qu'il la glisse en poche. Il s'en rend compte en arrivant au bateau et retourne immédiatement sur place où le garçon revêche lui répond ne pas l'avoir vue. Il ne fait opposition que le lendemain matin.


Sa banque lui apprend que la carte a déjà été suspendue cette nuit lorsque le quidam malintentionné qui l'a récupérée a tenté de tirer de l'argent dans un automate. 3500 euros ont été dépensés dans une boite au nom bizarre de Café-Bar-Discoteca de Playa Blanca. Jacques nous prête son camion et Catherine, chauffeur-interprète, accompagne Benjamin à la police pour faire une déclaration.


Benjamin est effondré au propre et au figuré car il vient de buter sur le pont de Caramel (encore une victime des pieds nus à bord) et s'est cassé le petit orteil droit et probablement le pied gauche qui s'est retourné. Catherine, brancardière-infirmière, l'emmène dans une clinique privée, toujours avec le camion de Jacques. Le diagnostic est incertain pour le pied gauche. Il ne peut plus marcher qu'avec des béquilles et sans poser le pied gauche. Nous l'emmenons le lendemain à l'aéroport pour prendre l'avion en chaise roulante et se faire soigner convenablement en France.


Sur ces entrefaites, je reçois un coup téléphone de la gérante du Café del Mar. Ils sont tombés fortuitement sur une autre carte Visa volée dans la veste d'un jeune serveur indélicat. Ils ont appelé la police et le voyou s'est fait épingler.


Les aveux sont cocasses : après son service, il est allé faire l'étalon chez Loulou (le bordel local) avec champagne à gogo. Sa purge terminée, il a filé la carte de Benjamin à un camarade qui s'est soulagé à son tour. Un troisième comparse a tiré une dernière salve sur le coup de 04 heures, toujours grâce à la carte Visa Hot de Benjamin.


Les trois petites frappes sont en tôle, mais probablement pour pas longtemps. Moralité : - carte perdue ou volée - tout de suite téléphoner. La fin de cette Visa Story connaîtra son dénouement dans les semaines à venir. La bonne nouvelle, c'est que le pied de Benjamin n'est pas cassé, il a une élongation sérieuse des ligaments.









L'Hydroptère (paragraphe plutôt réservé aux marins)

Toutes ces péripéties nous ayant pas mal occupé, je n'ai pas eu le temps de rendre visite à « l'Hydroptère » d'Alain Thébaud, amarré à l'entrée de la marina. Qu'est-ce que ce bateau de record, fait à cet endroit ? Je constate rapidement que le bateau n'est plus à l'eau mais a été gruté sur le quai. Plus large que longue, la bête est impressionnante, surtout avec son gouvernail relevé à la verticale. On dirait presque un vaisseau spatial.


Je suis très gentiment reçu et visite le bateau. Lors de la récente tentative de record de traversée de l'Atlantique, le foil bâbord a heurté une tortue marine de belle taille. A 25 noeuds l'impact a été tel que le bout du bras en carbone s'est délaminé sur 50 cm , une des deux attaches du flotteur s'est arrachée et un fence du foil est broyé.


Le petit team d'équipier-préparateurs est à l'ouvrage. Le bras et le flotteur sont démontés, prêts à rentrer dans un container qui sera expédié en France.


L'engin est sophistiqué, tout est fait de carbone, de titane et d'un peu d'aluminium. Le montage parait très léger, pourtant ce sont les plus résistants des matériaux connus. Au fil des années, l'engin s'est amélioré, chaque casse amenant une réflexion de la part des ingénieurs et une modification dans la réparation. C'est un travail de pionnier. La force de caractère et l'obstination d'Alain Thébaud couplées à son art de convaincre les sponsors permettent de poursuivre cette recherche sur le long terme (plus de 10 ans déjà).


La vue depuis les postes de barre est assez inhabituelle. Sur le bras latéral, à 10 m à l'extérieur et en avant de la coque centrale, le pilote est assis dans un siège baquet, un volant dans les mains. Un ou deux équipiers sont auprès de lui. En navigation sur les foils, le bateau ne touche plus l'eau. Seules les ailes sous les flotteurs latéraux et sous le gouvernail (ce sont les foils) supportent le poids du bateau. La mer défile entre 20 et 43 nœuds à quelques mètres sous eux. C'est la version marine du tapis volant.


La coque centrale, longue de 18 m et large de 1,20 m est pratiquement vide. Depuis le trou d'homme, on tombe sur un petit moteur (manœuvres de port et charge des batteries oblige). Une toute petite table à carte perpendiculaire à la marche constitue le seul mobilier du bord. Un panneau vertical reçoit les instruments (ici on reconnaît tout de même quelque chose) et deux PC marinisés. Le premier pour surveiller toutes les jauges de contraintes du bateau et l'autre pour la navigation, la météo et le routage.


Pour tout confort, un bec Camping Gaz, deux seaux (un pour la vaisselle, l'autre pour …) et deux surfaces plates pour se coucher et tenter de dormir.


Il faut ramener les choses à leur juste place. C'est un engin de vitesse pure qui prend son élan et fonce dans une fourchette de vent assez limitée (de 60° à 160° du vent). Il peut donner le meilleur de lui-même sur une pointe de vitesse, une distance (10 milles par ex.) ou sur une durée (24 heures par ex.). Ce n'est pas sur un parcours imposé qu'il pourra se mesurer avec les maxis multicoques d'aujourd'hui comme Orange ou Play Station (transat ou tour du monde par ex.).


Si le record Cadix – San Juan est pour l'instant hors de portée pour cause de tortue baladeuse, les records de Miami – New York puis New York - Cap Lizard sont au programme de cet hiver, une fois les réparations terminées.


Cet engin ne se manipule absolument pas comme nos voiliers de croisière. Nous flottons sur l'eau et nous avançons avec le vent. Voilà les points communs. Pour le reste …


L'histoire ne dit pas ce que pense la tortue de tout cela, ni ce qui se passe dans la tête de l'équipage fonçant de nuit à plus de 30 nœuds dans l'Atlantique…









Lobos

Il faut s'arracher des endroits sympas. Heureusement tout le monde s'en va en même temps, Jacques rentre quelques semaines à Genève, Claude prend l'avion pour Paris. Le bateau de Jean est opérationnel. Il va repartir à Hendaye, faute de copains sur le ponton. Les escrocs sont en tôle. Caramel peut donc filer sur Lobos, cette petite île au nord de Fuerteventura. Catherine n'aime pas trop cet endroit qui nous a laissé des souvenirs venteux et rouleurs au dernier passage. L'aridité de ce tas de lave n'est pas hospitalière, mais c'est sous l'eau que cela se passe.


Première plongée du voyage : le fond de sable semble pavé de pierres de lave aux formes assez régulières. Quelques récifs de lave épars accueillent des colonies de poissons peu farouches. Les viejas typiques à l'art culinaire canariens sont légions. Je me pose au milieu d'un récif et j'attends sans bouger, respirant le moins possible. Une flopée de poiscaille colorée et curieuse tournicote autour du masque. J'arrive presque à les toucher. C'est fou ce que le monde sous-marin est apaisant. Une heure dans l'eau chaude à observer l'autre monde et c'est une journée réussie.









Fuerteventura

Peu de route à faire aujourd'hui pour arriver à Gran Tarajal sur Fuerteventura, il suffit de longer la grande dune de sable clair et de se laisser porter par le vent sur une trentaine de milles.


Cette île est restée très préservée. Difficile d'accès pour les gens des bateaux, car il n'y a quasiment pas de possibilité pour amarrer son bateau en sécurité. Les choses devraient changer dans un an, car de gros travaux sont en cours à Tarajal. Une vraie marina est en train de naître. Les travaux intérieurs sont finis à l'exception des pontons. Une extension de la jetée est en cours devant la petite ville rustique. Les promoteurs sont prêts, une grande urbanización est en attente. Routes, éclairage, viabilisation sont visibles. Il ne manque plus que les clients pour que montent les murs des maisons.


En attendant, Caramel est le seul bateau visiteur. Nous accostons le long d'un vilain mur de béton. Devant nous, un bateau de sauvetage de haute mer, occupé par le marin de garde avec qui nous taillons une bavette. En Espagne, c'est la Croix Rouge (Cruz Rojo) qui a le secours en mer dans ses fonctions. Ce poste est le plus proche de la côte marocaine, 90 kilomètres seulement. C'est peu mais beaucoup trop pour les esquifs qui se risquent au passage sur une mer souvent agitée.




Le guide nautique nous apprend que le port sud de l'île (Moro Jable) est sujet à de fréquentes rafales de vent, surtout lorsque la montagne qui le surplombe est coiffée d'un chapeau nuageux. C'est le cas aujourd'hui et comme Caramel file bon train sous 20 nœuds de vent de travers, nous décidons de parcourir directement les 60 milles qui nous séparent de Gran Canaria.


Après les montagnes volcaniques spectaculaires de la côte sud-est de Fuerteventura, nous faisons route à l'ouest, toutes voiles dehors. Caramel adore le petit largue (ce n'est pas très original). Il laboure les vagues en donnant de grandes claques d'écume. Nous filons entre 8 et 9 nœuds. La distance est vite parcourue.


Des deux belles coryphènes qui se sont prises en même temps aux deux lignes de pêches, seule une montera à bord. L'autre ayant décidé de reprendre sa liberté. Deux kilos de poisson, c'est trop pour un repas. Après un premier service en papillote, Catherine accommode le reste des filets en brandade. Le blanc de Malvoisie de Lanzarote s'y marie avec délice.


Las Palmas de Gran Canaria est toujours pareille à elle-même : moche, bruyante et peu accueillante. C'est un arrêt de transit avant de repartir vers notre autre île de prédilection : Tenerife.









Tenerife

Départ à l'aube qui est ici très civilisée, le soleil ne se lève qu'à 07h30. Quelques milles vers le nord avant d'abattre en grand vers l'Ouest en droite ligne sur Santa Cruz que nous rejoignons vers le milieu de l'après-midi. Pas de pêche aujourd'hui. Bastante !


C'est étonnant, comme à Puerto Calero, on nous attribue le même poste d'amarrage qu'en 2001. C'est parfait, d'autant que nous rencontrons sur le même ponton nos amis de « Biche des mers » sur leur nouveau bateau : « Biche du vent ». Voici 4 ans, nous étions ici même pour le départ du Rallye des Iles du Soleil avec lequel nous repartons pour un bout de chemin. Patrice et Danièle vont retraverser l'Atlantique pour la cinquième fois dans le cadre de la Transat des Passionnés. Nous passons une bonne soirée à nous remémorer nos souvenirs d'Amazone devant une collection de tapas du cru.


Les journées passent vite à Santa Cruz, la ville est toute proche. Le shopping est agréable et tentant. Gaétan et Sylvia sont venus à bord pour une semaine que nous passons en tourisme et farniente. Caramel va rester seul durant un mois, le temps pour nous de vaquer à quelques occupations en Europe.


L'anecdote de l'escale, c'est ce voilier Bavaria 40 amarré au quai juste derrière nous. Son emplacement est gratuit pour quelques temps. Les douaniers ont saisi plusieurs centaines de kilos de haschich à bord. "Trolls", ce sont les petits elfes maléfiques de Scandinavie et c'est aussi le nom prédestiné de ce voilier ...


Et ce n'est pas fini. Un épisode de "Dallas" s'est tourné le matin du 09 septembre. Escorteur militaire et hélico de la police tournant au-dessus du port, un ketch de 55 pieds du genre Choy Lee arrive en fanfare à couple d'un remorqueur. Le quai grouille de policiers. Le voilier nommé "Tobago Clipper" est amarré derrière notre place à quai. Si nous pouvons lire son nom, son port d'attache a été soigneusement repeint en blanc ! Sur le pont une série impressionnante de bidons de 100 litres, totalisant au moins 1200 litres ?! Bizarre, vous avez dit bizarre. Comme c'est bizarre.


Au journal télévisé du soir, nous apprendrons qu'un enquête conjointe des polices espagnoles et françaises a abouti à cet arraisonnement, le voilier transportait 2.900 kg de cocaïne colombienne ... Dans le journal "Le Parisien" que nous achetons à Santa Cruz, nous trouvons un petit article qui nous donne quelques détails sur cette affaire.


Les Canaries étaient le dernier lieu de plaisance administrative. Pas un officiel pour vous enquiquiner, pas de formulaires d'entrée ou de sortie. Cela risque bien de changer si un voilier est arraisonné toute les semaines avec comme lest, quelques centaines de kilos de poudre hallucinogène prohibée.


A très bientôt Caramel. Soit sage et ne t'inquiète pas, nous revenons très bientôt pour filer sous le vent de nouvelles aventures. 



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Tenerife, le 12 septembre 2005 par une température de 38°C. C'est trop ! Viva el ventilator.


Crédit photos : Patrick et Gaétan 




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