CHAPITRE 08 : TRINIDAD - ANTIGUA - SINT MAARTEN - BERMUDES - ACORES - GIBRALTAR - FRANCE
Qui a dit que rien ne marche sous les tropiques ? En tous cas, Junior est bien présent dans le hall de l’aéroport, à m’attendre malgré une heure de retard. L’avion est arrivé à temps, mais les officiers de l’immigration veulent coller un timbre fiscal spécial « Cricket Championship » sur mon passeport, mais … ils n’en n’ont plus ! Ca commence fort, Rontudjûû !
Restons zen, il fait beau et je retrouve Caramel chez Peake, assis sagement sur son ber. Je suis arrivé une semaine avant mes équipiers. Je vais pouvoir polir un peu le gelcoat et écrire beaucoup. Vive le WiFi !
Une petite couche d’antifouling est appliquée, histoire de tirer le maximum de vitesse et de se faire plaisir. Et hop, Caramel à l’eau, direction Crews Inn Marina, très peu fréquentée en cette saison. Début mai, on est loin de l’encombrement du Carnaval de février.
Marc et Jean-Claude arrivent dix jours après moi. Le rituel du grand avitaillement est effectué ensemble le même jour ainsi que les formalités de départ. Nous passons une dernière nuit trinidadienne à Scotland Bay
Les lecteurs se rappelleront de Marc, équipier de la première transat retour et de la descente Rio – Buenos Aires, sage parmi les Sages et équipier aguerri aux choses de la mer. Les plus attentifs se souviendront aussi de Jean-Claude, équipier de la partie méditerranéenne du second voyage.
S’il y a bien un équipier motivé, c’est Jean-Claude. Il rêve depuis cinquante ans de traverser un océan. Les quinze jours d’il y a deux ans n’ont fait qu’attiser sa soif. Il nage tellement dans le bonheur de nous accompagner que je crains qu’il ne soit déçu par quelque chose. Comme il m’explique que les chanceux n’ont pas forcément le meilleur du meilleur, mais qu’ils cherchent simplement le meilleur de ce qu’ils rencontrent sur leur chemin … Je fais semblant d’être rassuré.
Jean-Claude connaît presque par cœur notre site et je le surprends régulièrement en grande conversation avec Caramel. Ces deux là vont s’entendre, c’est certain. Le soir, il prend des notes comme pour étancher sa bulle d’impressions qui déborde.
Depuis plusieurs années, j’écris nos récits de voyage. Vous ne me voyez que par mon écriture. Je vous livre celle de notre ami : «Le « Captain » à bord, est notre « Dieu » puisqu’il représente trois personnes en une. En quelque sorte, il a trois personnalités, il se partage en trois parties : l’une pour lui-même, l’autre pour Caramel et la troisième pour l’équipage.
Il y a toujours au moins une partie de lui-même en éveil, à l’écoute. La partie qui est le plus souvent en éveil est l’oreille attentive pour Caramel. Même s’il n’est pas de quart ou s’il se trouve dans sa cabine, le moindre changement de temps, la moindre erreur commise par un équipier, le plus petit soubresaut anormal le fait bondir.
A ce moment, il sort tel un diable de sa boîte et réagit par des conseils en indiquant ce qu’il y a lieu de faire pour améliorer ou corriger le problème, mais parfois aussi, d’une voix forte et catégorique, il dénonce fortement la « bêtise » réalisée et la corrige.
Il connaît son voilier comme il respire. Il sait comment le faire avancer, réagir. Il le connaît jusque dans les moindres détails. Il choisit toujours la voix de la sagesse, la voie de la sécurité, la météo qui convient le mieux. Il nous apprend énormément quant à la navigation, la conduite de son voilier. »
Si vous l’avez compris comme moi, je dois être un emm… de première ! Heureusement que c’est décrit avec humour.
La traversée de la Mer des Caraïbes est expédiée rapidement au bon plein à 7,2 nœuds de moyenne. Pas de dauphins, mais une collection d’exocets et de paille-en-queue. En 54 heures, nous nous retrouvons à Antigua juste devant la passe de Jolly Harbour. Bel endroit, une eau turquoise, du sable blanc et peu de monde. Image pratiquement paradisiaque.
La passe est embouquée avec précaution car le balisage local réalisé par la marina n’est pas très clair pour un premier passage. Le goulet s’élargit, nous longeons des maisons construites sur la rive. De l’autre côté, la berge est consolidée par des palplanches. Sur le terrain, se dessinent des pistes de sable, on sent la pression de la promotion immobilière qui va changer ce bel endroit.
Au fond de la baie, une petite marina de bois assez sympa. Parmi les massifs de fleurs, Caramel se trouve bien et son équipage aussi. Le soir au resto, une serveuse locale assez délurée, tente de faire fondre Jean-Claude à la source d’une autre chaleur que celle de la nuit. Une attaque en règle de moustiques nous fait battre en retraite avant que la belle ne puisse lui porter l’estocade finale …
L’île n’est indépendante que depuis 1981 et il règne toujours une ambiance très british. Le plus grand point d’intérêt est English Harbour, une espèce de fjord, reconnu comme trou à cyclone.
On y trouve le « Nelson Dockyard », le principal centre maritime britannique des Antilles au 18ème siècle. L’ambiance est surprenante et authentique. Tout est restauré avec soin. Il ne faut pas manquer de visiter le petit musée, puis d’aller prendre un verre au bar de l’hôtel. Je crois qu’il compte au moins quarante couches de vernis …
On y rencontre des équipages de rêve qui grattouillent et polishent en silence quelques yachts de luxe. A la fin de la saison (avril), la baie est bondée des plus beaux voiliers du monde pour une semaine de fiesta et de régates (Antigua Week) que l’on retrouve seulement aux Voiles de Saint Tropez (ex Nioulargue).
L’économie du pays est essentiellement tournée vers le tourisme et malgré cela, la population est avenante et bon enfant. Je révise mon jugement sur les Antilles, porté lors de notre premier voyage. Les îles au Nord de la Guadeloupe ont l’air nettement plus sympas qu’au sud. … Je vois que cela ne contente pas encore tout le monde !
Après cinq jours d’escales, de plages de sable blanc, nous accueillons à bord Daniel, nouvel équipier de Caramel. Daniel est skipper de son propre bateau et équipier régulier sur le Santorin d’un ami commun.
Une transat manquait à son palmarès de vieux routier des mers du Nord. Son arrivée à bord va lui permettre de réaliser ce projet qui lui tient aussi à cœur. Outre ses compétences nautiques, il lui en est d’autres qui ne tarderont pas à le faire surnommer « le Doc ».
Jean-Claude, quant à lui sera très vite surnommé « le Chef », non pas à cause de sa mainmise sur l’équipage, mais bien à sa main mise à la pâte. Il adore faire la cuisine et s’épanouit à cette tâche. On a tous bien compris qu’il ne fallait pas le brimer et on a courageusement renoncé à lutter. Pour éviter une apathie digestive généralisée, j’ai du instaurer des quarts de vaisselle !
Chaque départ est l’occasion d’un avitaillement. Dans une navigation qui touche autant de petits états différents, c’est assez sympa car les genres varient. On passe du canadien (Trinidad), à l’anglais (Antigua). On va bientôt retrouver le français (Sint Maarten), puis l’américain (Bermudes). Transiter par le portugais (Açores) et l’espagnol avant de s’attabler au bistrot français en arrivant.
Cette fois, nous sommes gâtés, derrière la marina de Jolly Harbour se niche une grosse superette très bien achalandée. Le Chef est aux anges. Il fait provision de tout. De retour à bord, il blanchit quantité de légumes qu’il ensache ensuite dans des « Zip lock » avant de les ranger au congélo. Caramel va manger chez Lucullus.
L’escale suivante est à un jet de pierre, 87 milles nous séparent de Sint Maarten (Saint Martin). Comme Eole se repose aujourd’hui, nous faisons la route au moteur pour jeter la pioche en fin de soirée devant le pont de la Baie de Simpson.
Cette île possède un grand lagon où deux passes vers la mer ont été aménagées pour le trafic maritime. La plus grande se trouve du côté hollandais. Comme une route longe la côte, il a bien fallu construire un pont ouvrant. C’est amusant, ce pont est la copie conforme de ceux installés au Pays-Bas, couleur comprise.
A 9h30, Caramel s’engage dans la passe laissée libre par la levée du pont. La Marina que j’avais repérée est désespérément vide en cette fin mai. Les gros quais de béton ne sont pas particulièrement avenants et après une tournée d’inspection, nous choisissons finalement la Simpson Bay Marina, plus petite, vivante et proche des animations.
Plus on monte aux Antilles, plus les prix font de même. Nous sommes ici pour un ultime changement d’équipage, on ne va pas jouer les prolongations si la météo l’autorise.
Marc quitte Caramel, il ne peut malheureusement pas nous accompagner sur la transat et délègue son frère Alain pour le remplacer. Je ne connais pas Alain, mais il sera largement à la hauteur du remplacement.
Tout le monde est installé. Je fais l’habituel topo sécurité à Alain, les autres en profitent pour réviser la matière. Chacun a son harnais-gilet gonflable qu’il règle à sa taille. Alain est le dernier arrivé dans le groupe et arrive pour la première fois sur Caramel. L’équipage lui fait sa place et essaye de le détendre.
La partie hollandaise de l’île est proprette. Dans la capitale, Philipsburg, la rue principale n’est qu’un immense comptoir de vente hors taxes. Habituellement, les ventes hors taxes sont un piège à touristes. Ici pas, on y fait de réelles bonnes affaires. Non seulement, il n’y a pas de taxes, mais les marges bénéficiaires sont raisonnables. Le Chef et le Doc en profitent pour acheter un appareil photo dernier cri, modestement, j’achète une Swatch, car mes deux montres sont HS !
La partie française est plus nature, mais moins proprette … C’est rigolo de s’arrêter sur le port à Marigot pour manger une crêpe bretonne avec du cidre non filtré.
Tandis que l’équipage veille à regarnir la cambuse, je fais l’entretien du moteur et un tour général des équipements avant le grand départ. Nous avons décidé de mettre le cap directement sur les Açores. Les fichiers grib nous promettent du vent dans trois jours, il est temps de dégager de la zone. Dans quelques jours commence la saison officielle des cyclones.
On décide de partir à midi, histoire de dormir encore de tout son saoul et de charger les derniers mails, journaux et autres fichiers virtuels.
Alain a déniché une boulangerie française près du port qui nous a cuit deux fois de grandes miches de pain. Elles se conserveront parfaitement pendant une semaine.
11 heures du mat’ – ouverture du pont
Caramel passe à fond – puis pimpon – pimpon
… ambulance. Les feux passent au rouge, le pont se referme laissant tous les autres bateaux dans le lagon… Lucky Caramel.
La routine s’installe. Tout est confortable, la mer est plate, pas de vent, nous sommes au moteur. Parfait pour terminer d’amariner l’équipage.
Vous connaissez ma passion pour la pêche. J’ai du matériel … à disposition des équipiers. Le Chef entre deux sessions gastronomiques se pique au jeu et tente sa chance pour la première fois. Il n’a jamais pêché à la traîne sur l’Océan.
Aux innocents les lignes pleines, après 30 minutes, le moulinet bâbord se vide dans un grand bruit de crécelle. Branle-bas ! On serre le frein, on relève la ligne tribord, on sort l’épuisette, la gaffe à crocher, le grand bac à feuilles. C’est une belle pièce qui tire fort.
Le Chef mouline tandis que je l’aide en tirant sur le nylon. Un long poisson argenté apparaît sur l’arrière. Il est amené le long de la coque puis croché et ramené à bord. Le Chef ne se tient plus, il le tient à bout de bras par la ligne. La gueule est garnie de solides dents acérées.
Pour présenter son meilleur profil pour la photo, le Chef enjambe la poiscaille qui se débat et en profite pour lui trancher le lard de la cuisse ! Il y a du sang partout et ce n’est pas celui de la bestiole. On largue une rasade de rhum dans la gueule du poisson pour l’achever et on propose à Jean-Claude d’en faire de même pour stériliser sa plaie. Il refuse !
Le Doc (c’est ici qu’il prendra son surnom) est chimiste, mais a œuvré une bonne partie de sa vie professionnelle dans le domaine médical. Sa gentillesse le porte naturellement à soigner les autres. Il prend les choses en main. On étend le Chef dans le cockpit et il est délicatement soigné par des mains expertes.
Cochonnerie qu’une blessure de poisson. Il faut absolument désinfecter la plaie tous les jours. Après plus d’un mois, les cicatrices seront toujours bien rouges.
Le poisson, une sorte de carangidé pélagique (?!) est autopsié par le Doc qui en tire des filets pour le congelo. La vengeance est un plat qui se mange très froid.
Après deux jours, le vent n’est toujours pas au rendez-vous et les derniers fichiers météos envoyés par Didier, notre équipier à terre, ne sont guère encourageants. Devant nous, il y a une prévision de sept jours sans vent. C’est trop juste pour notre autonomie. Je décide de changer de route et de monter sur les Bermudes à quatre jours de mer pour refaire le plein. C’est plus raisonnable que de se retrouver à mi-parcours des Açores sans vent et sans gasoil.
Le reste de la route vers les Bermudes est pratiquement franchie au moteur sur une mer plate. Seul le ciel est tourmenté, les orages se succèdent, la foudre tombe plusieurs fois à l’eau, la pluie tombe parfois dru, mais le vent ne vient pas. Vivement que nous quittions cette zone.
Le 06 juin, à l’aube, Bermuda pointe sa verdure à l’étrave. En relisant Jimmy Cornell, je m’aperçois qu’il faut se présenter par radio VHF aux Autorités locales. C’est un véritable interrogatoire administratif qui est pratiqué.
A l’extrémité Est de l’île se trouve un goulet pour entrer dans Saint Georges Bay. Nous nous retrouvons dans un joli lagon que nous partageons avec des voiliers au mouillage et deux énormes paquebots à quai.
Les formalités d’administration sont agréablement expédiées et nous nous amarrons à l’extérieur du môle du Dinghy Club, en compagnie de quelques voiliers de passage qui attendent également du vent pour partir vers l’Est.
Tout est ici très british, l’ambiance du Dinghy Club, les petites maisons colorées, les bobbies tout aussi colorés, la nourriture, la bière et bien évidemment les bermudas. Pour les lecteurs ignorants, je fais ici un bref historique de ce faux ami.
Le pantalon bermuda, n’a pas du tout été inventé aux Bermudes, mais bien à Londres au début du 20ème siècle par les forces militaires britanniques (qui devaient déjà avoir trop chaud sous le soleil londonien). Ce vêtement fut rapidement adopté par les bases militaires tropicales de l’Empire britannique. Il se portait avec des chaussettes blanches montantes.
Les marins de la Navy ont amené ce pantalon aux Bermudes. Bien entendu, les soldats de la garnison de l’île adoptèrent cette mode militaire bien agréable. Dans les années 1920, les civils bermudiens commencèrent à porter le même accoutrement. Le développement du tourisme britannique et américain dans les années qui suivirent, a aidé à essaimer la mode en Europe et aux USA.
Le bermuda est porté en été avec un veston, une cravate et de hautes chaussettes dans des tons assortis. Le détail qui tue : n’oubliez pas de retourner le bord haut des chaussettes pour éviter de passer pour un plouc. Reste que je ne sais pas bien où je vais porter le petit ensemble jaune et vert anis que j’ai acquis sur place …
Les Bermudes, c’est super clean, pas un papier, pas une ordure qui traîne à terre. Si l’ambiance est british et avenante, toute l’organisation est plutôt US. Hamilton, la capitale est agréable, buildings et espaces verts se côtoient dans ce haut lieu de la finance off shore.
Les propriétés du centre de l’île rivalisent de beauté. Les eaux des côtes et des lagons sont cristallines. Le revers de la médaille est que la vie est chère aux Bermudes, même pour un touriste qui vient avec des euros solidement échangés contre un dollar faible. Nous y avons passé trois jours, un peu pris par le temps, mais cette étape vaut certainement un séjour d’une semaine, surtout si l’on est au mouillage, là où cela ne coûte rien …
Le plein de gasoil est notre dernière occupation avant de quitter Bermuda. Nous abandonnons Saint Georges dans la matinée. Le vent doit monter dans la nuit, avec une dépression qui arrive des USA.
Nous voilà partis sous spi asymétrique et spi d’artimon. Caramel glisse puissamment sur l’eau. Des dauphins jouent à l’étrave sous une eau lisse et claire. Nous reprenons le rythme de nos quarts sans problèmes.
De jour, nous ne faisons pas de quarts fixes. Chacun vaque à ses occupations : cuisine, vaisselle, lecture, mots croisés, sudoku ou musique. On veille toujours à ce qu’un de nous reste dans le cockpit. On siestouille un peu durant la journée en fonction de ses coups de pompe.
Les jours de grand calme, les activités sont plus intenses, on fait du pain, on regarde un DVD. Le Chef se lance dans de la cuisine compliquée, nous sert des dégustations en apéritif. A l’apéro, on a dans de grandes discussions pétrolières avec Alain qui a passé sa vie « dans le pétrole ». L’informatique est aussi un grand sujet d’échanges. Le Doc nous raconte ses expéditions dans les pays lointains et le Chef ses expériences humaines dans l’enseignement.
De 20 heures à 08 heures, les quarts sont de mise. A quatre, c’est très confortable mais il faut s’astreindre à dormir lorsqu’on n’est pas de quart durant la nuit. Après quelques jours le rythme est bien établi et je m’étonne encore de ma forme entre 01h00 et 04h00.
Tous les jours nous rencontrons des cargos. A plusieurs reprises, nous avons dû changer de cap pour éviter une route de collision. Comme sur terre, les routes sur la mer sont de plus en plus encombrées. La veille visuelle est indispensable, surtout par mauvais temps où la veille des instruments n’est pas forcément performante.
Douze jours plus tard, le Pico s’élève lentement sur l’horizon. Bonjour Faial. Bonjour Horta ! Plus de mille bateaux par an. Pour sûr, Horta est une étape fréquentée. Nous sommes à couple de deux autres bateaux dans une marina assez protégée. Comme le temps peut toujours changer, nous sortons un paquet d’amarres pour sécuriser Caramel et partir à terre, l’esprit léger.
Notre tour de l’île en auto se fait sous un ciel plus dégagé qu’en 2003, mais la caldeira est malheureusement tout autant ouatée par un petit nuage. On n’y voit rien !
Notre conduite distraite nous perd entre les prés verts de cette île d’élevage. Les hortensias bleus qui poussent à l’état sauvage, délimitent les herbages et les routes. Cette virée bucolique aboutit bien évidemment dans un bistrot local pour le déjeuner. Si les açoriens ne sont pas très grands, ils ont des rations énormes ! Proportions que l’on retrouve aussi dans la gentillesse et la douceur de ce peuple îlien.
A la pointe sud-est de Faial, là où a eu lieu la dernière éruption volcanique (septembre 1957), le paysage minéral contraste avec le reste de l’île. Des travaux sont en cours, pour restaurer le phare devenu inutilisable puisqu’il est maintenant derrière un cône de volcan ! Un centre de visite est en construction. Les ouvriers nous empêchent de nous approcher du site. A votre prochaine visite, il faudra payer pour voir tout ceci …
La plupart des lecteurs marins savent que les voiliers de passage à Horta laissent une empreinte artistique sur les quais du port. En 2003, Caramel avait expédié cette formalité, par manque de temps (voir photo dans le récit du précédent voyage). Cette année, les équipiers ont pris les choses en main. Alain et Daniel ont préparé des croquis avant d’arriver aux Açores, Alain est parti chercher des pinceaux et de la peinture. Le projet prend forme. La réalisation est un joli clin d’œil. Bravo les gars !
Le «Café Sport», chez Peter est toujours aussi bondé. On y parle français, allemand, anglais, suédois, néerlandais et de plus en plus les langues slaves. Avoir une table relève du parcours du combattant. L’autre solution est d’arriver très tôt et de boire jusqu’à ce que le bistrot soit plein. Ce n’est pas toujours le bistrot qui est plein le premier.
Après quatre jours très agréables, notre escale prend fin. L’anticyclone des Açores reste très bas cette année. Il faut en profiter, car il génère sur notre route des vents faibles mais portants. Il reste 1100 milles jusqu’à Gibraltar. J’ai fait tant de milles ces derniers mois que cette distance me paraît être une formalité.
Un jour sans vent, une vingtaine de dauphins viennent nager sous l’étrave. L’eau est si plate qu’on les voit comme dans un aquarium. Jamais ils ne se touchent, leur puissance de nage est incroyable. Nous les entendons couiner, comme s’ils bavardaient. «Tu as vu, c’est encore Caramel qui passe dans les parages» semblent-ils se dire. C’est absolument splendide et j’ai bien envie de plonger les rejoindre.
Tous les jours, des copains à terre nous tiennent au courant des résultats de l’America’s cup. Avec un peu de chance, nous pourrions être sur place pour les dernières régates. Les épouses commencent à s’impatienter, l’Iridium bourdonne régulièrement à l’arrivée de tous ces SMS.
Il est très difficile de passer le Détroit de Gibraltar contre le vent. Un phénomène de venturi augmente sa vitesse dans le goulet. Il n’est pas rare d’avoir 35 nœuds à Tarifa et 5 nœuds à deux milles de là. La mer est courte et hachée, un vrai casse bateau. Si on ajoute le trafic des cargos, on apprend vite qu’il vaut mieux faire escale à Barbate de Franco pour attendre la renverse du vent. J’avais prévu cette éventualité dans mon planning, mais Caramel est depuis sa naissance un chouchou d’Eole.
Sur les fichiers grib envoyés par Didier, les prévisions annoncent que le vent d’est qui souffle sur le détroit va s’inverser bientôt. Trois heures avant notre passage, rotation du vent à l’ouest. Nous passons le détroit, les voiles en ciseaux, génois tangonné. Faites-moi penser à écrire à l’Olympe en arrivant.
Gibraltar, c’est ici que le Doc descend. Son épouse est venue le chercher. Nous nous donnons rendez-vous à la station service de Sheppard’s Marina pour faire l’appoint de gasoil à prix réduit (cad le double du Brésil …). On relâche le Doc contre des croissants et des yaourts. Merci Doc, tu as été un compagnon de route très agréable. Il faudra tout de même que tu nous dises un jour, ce que tu as noté tous les soirs dans un cahier d’écolier…
La météo commande et la Méditerranée est une mer capricieuse. Ce bon vent d’ouest n’est prévu que deux jours avant de revenir à l’est avec énergie. Je décide de poursuivre sans délai jusqu’au golfe de Valence protégé par son anticyclone. Durant toute la nuit, Caramel sort toute sa cavalerie. Trente cinq nœuds de vent aux fesses avec un peu de voile en ciseaux, nous abattons 70 milles en 8 heures, avec des pointes à 14 nœuds au GPS en dévalant les vagues. Le pilote automatique barre sans broncher, l’accéléromètre placé tout à l’arrière du bateau tourne la barre dès le début des embardées. On file pratiquement droit.
Il est temps de faire une pose, je sens que l’équipage se rebiffe. Sous le Peñon de Ifach, Caramel trouve un fond de sable clair à 4 mètres. C’est la pause natation, la première depuis Antigua. Seul le Chef s’y colle, l’eau n’a que 21 degrés. Brrrrrr !
Pour Valence, c’est raté, Alinghi a déjà gagné. Nous décidons d’un arrêt à Denia qui a bien changé depuis mon dernier passage en …1979. Au cap Bagur, le mistral souffle toujours. Une accalmie de 24 heures semble pointer le bout de sa pétole. Sans hésiter, Caramel emmène son équipage pour cette dernière étape sans vent.
Nous faisons la plus étrange rencontre de ces derniers mois. Ce n’est pas ce porte-conteneurs immense, mais un gros point rouge sur la mer. Nous nous approchons. C’est un ballon publicitaire de quatre mètres qui s’est échappé. Il ne veut plus nous lâcher et s’emberlificote dans les chandeliers ! Allez, ouste, on ne veut pas de toi à bord. Quelques heures plus tard, rebelote, on pêche une grosse défense sphérique. Bienvenue à bord cette fois !
Caramel arrive à destination. Alain relève sur son GPS que nous avons parcouru 5.200 milles depuis Trinidad. Le parcours a tellement été sans fautes que nous avons quinze jours d’avance sur le programme. Le Chef prépare une dernière salve de zakouskis, Alain (préposé aux boissons) sort la dernière bouteille de champagne du frais. Nous partageons le nectar avec Caramel qui pétille aussi.
Tu vas sortir de l’eau demain, fidèle Caramel. Tu seras bien ici au sec en attendant de nouvelles aventures avec moi ou un autre qui saura t’apprécier. Merci pour toutes les joies que tu nous as données. Je sais qu’au fond de toi, ta quille balance au rythme de la bossa-nova. Le vent que tu préfères est celui d’Amérique du Sud. C’est là que tu aimes fendre l’eau en compagnie des dauphins sur les fleuves ou l’Océan. Ici, tu ne fais qu’attendre. J’ai les doigts noués, je n’arrive plus à écrire.
Até logo Caramel.
A la maison, le 12 août 2007, en peignoir devant mon écran en sifflotant faux "Poor Lonesome Sailor"
Crédit photos : Alain, Daniel, Jean-Claude et Patrick