Les Aventures
drôlatiques
de l’excellent
André Rihouay
Aventures de mer
Le gars Rifuna
« - HEY MAN ! MY FRIEND ! »
Déjà, j'aurais du me méfier du look du gars qui m'aborde, black, tee-shirt mité, barbe mitée, … Normalement, le clignotant rouge s'allume. Le gars m 'appelle « MY FRIEND”. Normalement là, la sirène d 'alarme retentit.
Mais allez savoir pourquoi un voyageur averti comme moi qui en vaut bien deux, va y causer au gars ? A celui-ci qui a tout du petit arnaqueur de rue ! Et vas y que je lui fais des sourires et vas y qu'on est tous frères pas vrai !
« - Et toi t'es qui, mon frère ? »
« - Garifuna Man, Garifuna, Donno Garifuna ? »
Stop info : quand les héritiers de Colomb : les colons, en ont eu marre de massacrer les indiens Caribes et les noirs marrons, ils les ont déportés sur les bases de pirates des îles de la baie au Honduras et sur les côtes aux alentours, comme ici à Livingstone, Guatemala.
Ce joyeux mélange indien-noir-pirate a donné : le « Garifuna », langue créole où traînent encore quelques mots de français. Il traîne aussi sa démarche nonchalante le long des rues à la recherche du blanc pigeon ou d'une quelconque combine à deux dollars. Mais il y a surtout sa musique Man, sa musique !
Et justement, mon gars se dit musicien. Même qu'il serait venu en France à Carcassonne pour un festival ! (baratin classique de l'arnaqueur : « Vous êtes français ? je connais, j'ai été là-bas, je connais un français qui, … etc ».
« - I play music Man, I play music »
« - Ah bon ! Comme c'est passionnant ! Mais c'est que je veux absolument un disque de vous mon ami ! »
« - Ain't got no disc Man, no disc »
« - Que ne m'en gravez vous point un ! J'en serai si ravi ! »
« - Ain't got no money Man, no money, give me 6 dollars and I go look for a disc Man »
« - Mais bien sûr, mon ami. Tenez ! Ah, je n'ai pas de monnaie. Qu'importe, prenez mon billet de 10 $, vous me rendrez la monnaie, n'est ce pas ? Nous sommes entre gentlemen ! »
Et pourquoi ne pourrait-on pas de temps en temps, arrêter de se méfier de tout le monde, faire confiance aux gens qu'on ne connaît pas, baisser un peu sa garde. Se dire qu'il y a sûrement quelque part, des gens et des pays qui valent le coup !
Je ne sais pas si cela vous arrive, mais moi ça me prend parfois et ça me donne comme un vertige. Ce serait tellement plus simple. Mais la vie c'est pas ça. Le gars est parti et je ne l'ai pas revu.
Et moi : cool ? Pas du tout ! Comment peux-tu être aussi con. Garifunas de mierda, tous de la racaille ! Pourquoi ne les a-t-on pas tous tués, je vais finir le travail …
Quinze jours plus tard, nous repassons à Livingstone et fatalité, je retombe sur mon gars. Depuis notre rencontre, j'avais d'abord élaboré tout un tas de supplices pour lui, puis le calme est venu et je l'ai abordé sans haine.
« - Et mon disque ? » l’interpelle-je. « Enfoiré », j'ajoute tout bas.
« - Your disc Man ? Je l 'ai donné à un gringo avec qui tu causais et qui devait te le donner avec ta monnaie ! Man je le jure, je ne suis pas un menteur ! »
« - Mais bien sûr ! Allez dégage ! Tant pis, je ne connaîtrai jamais ta musique ! »
Une heure après, il me tend un disque : « I'm not a liar, Man »
Je lui tape sur l'épaule et lui dit : « Je ne sais pas pourquoi mais je savais qu 'on pouvait te faire confiance »
Je suis un enfoiré, me dis-je, on dirait un homme politique.
La musique m'a paru encore meilleure ce soir là.
Il est bon le garifuna, il est bon !
André (andrerihouay1@hotmail.fr)