Voyage 2001 - 2003

de Caramel

Le 02 juillet, Catherine et le Captain se retrouvent à l'aéroport de Lisbonne, pour voler ensemble vers Horta, capitale de Faial, une des îles portugaises de l'archipel des Açores.


L'archipel est dans la purée de pois, le plafond nuageux est tellement bas, que notre Airbus ne distingue pas la piste et repart dans une large boucle. Nous questionnons notre voisine. Elle nous apprend que s'il n'est pas possible d'atterrir ici, Terceira (une autre île) est équipée d'un système sans visibilité et qu'on peut rejoindre Horta par bateau. Intéressant comme perspective, surtout lorsqu'elle complète son exposé en annonçant qu'il n'y a que deux bateaux par semaine …


A la deuxième tentative, le pilote remet les gaz à fond juste avant d'atterrir, et on voit presque le bout de l'aile droite gratouiller la falaise. On commence à avoir un peu les boules … La troisième tentative est la bonne, mais le pilote doit plaquer le zinc sur la courte piste. Ouf, on est rendu et entier.


L'humidité est terrible ici, malgré qu'il ne pleuve pas réellement en été et que la température soit moyenne (26 degrés). Nous arrivons à la nouvelle marina de Horta et retrouvons Caramel et son valeureux équipage de la première partie de traversée.


Pierre-Yves and his crew ont vraiment fait du bon travail. Non seulement ils ont mené rapidement Caramel à destination, mais il est impeccablement propre. Même les inox ont été polis et le plein de carburant est fait. Top classe !


Virée au "Café Sport", chez Peter, le rendez-vous des marins de passage. Ambiance enfumée et bien arrosée, où l'équipage descendant nous raconte les anecdotes de la traversée.


Catherine ne reste que trois jours à Horta et nous en profitons pour faire immédiatement le tour de l'île en auto. Les petites routes suivent la côte mais une seule monte au sommet du cratère volcanique. Les cieux sont propices et le ciel se dégage lorsque nous arrivons à la "caldeira" (trou du volcan en portugais). Large de 2000 m et profond de 500 m, il donne une impression d'immensité de la nature et ramène la taille de l'homme à une plus juste échelle.


L'île est très verte et sur le versant sud, une végétation carrément tropicale s'y développe. Manguiers et fougères arborescentes rivalisent avec d'énormes lauriers roses en fleurs. Partout sur l'île, éclosent les tons bleus des hortensias et rouges des rosiers sauvages.


En passant un col, la vallée suivante semble un tableau, où le peintre aurait tracé un quadrillage de bleu pastel pour illustrer les haies d'hortensias qui séparent les parcelles de prés. Car la principale activité de l'île, c'est l'élevage bovin et donc la maquée fraîche … (fromage blanc servi ici avec un petit coulis froid de tomate au basilic).


La pointe Sud-Est offre un tout autre aspect : en 1957, une éruption latérale du volcan a vomi ses millions de tonnes de lave à peu de distance du rivage et a agrandi l'île de plusieurs dizaines d'hectares. Puis dans ce nouveau désert, il a érigé une haute colline.


Miraculeusement, le beau grand phare de ce cap est resté debout alors que les constructions au sol ont été en partie détruite et remplie de cendres. Cependant il ne servait à rien de le remettre en état, car la nouvelle colline le rendait inutile pour les navires au large. Un autre phare (moche) a été érigé à un endroit adéquat. Nous nous promenons sur le sable noir entre les rocs de basalte. Etrange impression. Que font des Hommes sur ces îles volcaniques, en attente de la prochaine éruption ? Le charme prenant de ces îles en est-il la cause ?


Le ciel se dégage et dévoile juste face à Horta, l'île Pico et son immense volcan haut de 2.000 mètres. Vue somptueuse. Horta forme avec Pico et Sao Jorge le groupe central de l'archipel. Un autre groupe est plus à l'Ouest et un dernier, plus à l'Est. Sao Miguel, la capitale de l'archipel est dans le groupe de l'Est, mais nous n'aurons pas vraiment le temps de faire du tourisme sur les autres îles.


Catherine, en mousse accompli, consacre avec son Captain, sa dernière journée aux préparatifs pour la dernière partie de la traversée de l'Atlantique. Avitaillement, lavage des draps, vidange moteur, rinçage du puisard et autres petites vérifications font maintenant partie des habitudes du périple de Caramel.


Horta a un bon Saint Bernard, celui chez qui on peut tout demander et qui fera tout son possible pour essayer de solutionner le problème : Duncan Sweet qui depuis onze ans tient sur le port : Mid Atlantic Yacht Services (mays@mail.telepac.pt). Homme précis et diligent, d'une grande amabilité et efficacité, le fait est trop rare pour ne pas souligner la qualité de ses services. Son épouse Ruth est encore plus charmante et nous conseillons vivement à tous les yachties de passage d'aller les saluer et de les rencontrer pour tous problèmes techniques ou administratifs.


En trois jours, tous sont partis et d'autres sont arrivés : les durs à cuire, ceux qui en veulent : Gaétan et Michel. Equipiers voileux sur un bateau ami, ils sont venus pour faire une partie de la traversée de l'Atlantique et si possible en baver un peu.


Michel prend en charge le dessin que Caramel laisse en souvenir de son passage à Horta. C'est la tradition depuis des décennies : chaque bateau de passage peint sur le sol ou les murs du port un tableautin marrant, tendre, émouvant, patriotique, vulgaire, mais immanquablement millésimé.


La liste des passagers de certains bateaux font réfléchir sur la qualité du planning familial du pays concerné. D'autres bateaux, habitués du passage se contentent de rajouter une nouvelle date sur la peinture existante. Nous tentons avec succès de reconnaître la marque l'un ou l'autre bateau ami.


Nous n'avons pas assez de temps pour jouer de la peinture et des pinceaux, mais Michel trace au marqueur un clin d'œil de notre passage, histoire de ne pas faillir à la tradition et encourir les foudres de Neptune …


Une dernière météo à cinq jours sur l'Internet, payer le port et faire la sortie officielle des Açores, Caramel et son équipage prennent cap à l'Est sous un bon courant d'air créé par l'immense Pico voisin. Gaétan et Michel dégustent déjà ce premier bord, avec le même espoir que les amuse-bouches qui précèdent un bon repas. Souffle asthmatique, deux heures plus tard, la brise Yanmar (moteur) prend le relais … pratiquement pour six jours ! A l'exception d'une demi journée sous spi, le vent n'a pas dépassé 8 nœuds.


Pour éviter d'être trop frustrés, nous avons réorienté notre champs d'activités vers la cuisine du bord. Plats cuisinés midis et soirs, servis sur la table du cockpit entièrement dépliée, même si le vin portugais ne se montre pas toujours à la hauteur.


La ronde des quarts s'installe confortablement sur un océan paresseux et passablement vide. Musique pour les uns, lecture pour les autres mais toujours en compagnie de Dame la Lune dans sa plus grande rondeur. Certaines nuits nous avions la visite des Madeleines pour réconforter nos heures solitaires. Mais elles ont disparu après un triste coup du sort : Gaétan les a mangées.


La météo nous annonce imperturbablement 15 nœuds de vent de NW, mais nous n'avons jamais que 0 à 8 nœuds de vents divers et une nuit plus agitée, sans vent avec des vagues bizarres de NE. De temps à autre, le radar se réveille et affiche bruyamment un lointain écho oblong sur son écran. On essaye de repérer le navire parfois avec succès.


Le temps est propice au farniente pour les animaux également : tous les jours nous voyons de petites tortues marines qui se chauffent en surface au soleil en agitant lentement les pattes, les labbes chalutent aisément de leur bec l'eau calme de l'océan, des dauphins viennent souvent nager en petit comité à l'étrave après avoir fait des cabrioles amoureuses au-dessus de l'eau. L'horizon disparaît souvent l'après-midi, succombant sous les effusions pastel de la mer et du ciel.


Mais la récompense suprême, c'est cette grande baleine à bosse que Michel a aperçu à deux cents mètres sur tribord. Nous nous déroutons et après un long arc de cercle, nous nous présentons de trois-quarts arrière. Elle souffle régulièrement et nage lentement (3 nœuds) à la surface de l'eau. Nous l'accompagnons durant une petite dizaine de minutes avant la cabriole finale : le dos fortement courbé et l'immense queue en l'air, elle sonde, le corps disparaît lentement sous les flots. Mazette, quel spectacle !


Le loch emmagasine les milles effectués et le GPS décompte les milles restants à parcourir. Chaque soir, il fait nuit un peu plus tôt, il faudrait changer d'heure (nous voguons vers l'Est). Il fait frais la nuit et nous devons maintenant nous couvrir. Malgré tous ses efforts, la pêche de Michel est sans résultats et nous nous rassasions des filets de thons laissés au surgélateur par l'équipage précédent. A ce propos, Gaétan vous recommande les dés de filets de thons marinés puis cuits dans du lait de coco aromatisé au curry. Un rosé sec portugeisch cadence bien l'ensemble.


Gaétan et le Captain ne savent pas si Michel est heureux ou malheureux quand il nous dit à plusieurs reprises que c'est la première fois dans sa vie qu'il n'a pas téléphoné durant une semaine. Le nouveau petit téléphone portable super branché qu'il a acquis avant de partir doit tout de même le démanger sérieusement.


Encore 160 milles à tirer, le vent de NW se lève enfin, Caramel s'ébroue, s'étire puis déroule toutes ses voiles pour caracoler gaiement sur le bleu de l'Atlantique. Le bruit s'arrête, la cale moteur refroidit. Merci à Yanmar pour la qualité de ses moteurs et à Amel pour le réservoir de 600 litres. On aurait pu arriver en Europe sans problème. Maintenant on sait vraiment ce que l'on consomme à 1800 T:Min : 3,75 litres.


La dernière nuit est celle de tous les dangers. Habitués au calme des nuits précédentes, il ne faut se laisser distraire dans cette zone où tous les cargos entrants et sortants convergent vers détroit de Gibraltar. Le bimini et la capote sont rentrés pour une visibilité maximum. L'équipage est briefé. Nous devons détangonner le génois durant la nuit pour modifier une route de collision avec un cargo. Nous restons sous voiles et moteur dans cette zone à risques, pour être plus manoeuvrant.


Le radar est à la fête, il n'y a pas moins de quatre échos au minimum autour de nous et on en comptera jusqu'à neuf. Caramel finit au petit matin par se retrouver dans la zone entre les cargos rentrants et sortant de Méditerranée. Beurk ! Nous changeons de cap pour sortir de ce guêpier et nous nous rapprochons de la côte espagnole du détroit.


Nous dépassons Tarifa en début de matinée. C'est un moment d'émotion pour Caramel et son Captain. C'est ici que Caramel recoupe son sillage après avoir quitté l'Europe voici plus de deux ans pour partir à sa conquête du nouveau monde.


Nous décidons de faire notre premier atterrissage à Ceuta, enclave espagnole au Maroc, pour ne pas quitter le dépaysement tout de suite. C'est l'Europe mais en Afrique. On y est sans y être. Caramel sent déjà l'écurie et le Captain n'est pas certain qu'il aime cela.


L'équipage apprécie beaucoup Ceuta, sa nonchalance africaine, sa gentillesse latine et nous profitons de l'escale pour faire une échappée en bus à Tétouan et Tanger. Un tour dans les Médinas centenaires et inchangées. Toujours la même vie difficile pour ses habitants, le concert des odeurs, des couleurs et des palabres, les gestes séculaires des couturiers, des cordonniers, des poissonniers, des boulangers. Les quelques touches de modernisme égratignent à peine l'authenticité de la Médina. le contraste est plus saisissant à l'extérieur : les publicités, les voitures de luxes, les femmes officier de police, de douanes, d'immigration. Le pays bouge mais garde ses racines.


Par un curieux hasard nous sommes à Ceuta durant la fête de la Vierge de la Mer. Nous suivons en partie la procession qui porte en soirée la Madone sur un chalutier, histoire de lui faire prendre un peu l'air du large à la sortie du port en compagnie de dizaines de bateaux accompagnateurs, de la fanfare et des pétarades pour conjurer les mauvais esprits. Voici deux ans nous avions suivi la grande procession de début août qui aère la Vierge noire d'Afrique et ouvre les festivités de trois jours de libations.


Caramel, un peu pris au dépourvu n'a pas participé à la procession des bateaux. Il nous a rappelé que sa conscience était tranquille après la fête de Iemanja (déesse de la mer) à Salvador de Bahia.


Réveille-toi Caramel, il est temps de poursuivre le voyage, tu as fait 1.120 milles depuis Horta, mais il reste encore un petit millier de milles pour arriver à destination et le temps presse un peu. Il faut rejoindre le continent européen et la vraie Espagne.


Michel est bien réveillé entre deux longues siestes et utilise toutes les ressources de son "G". Pas de doute, ce sera un abonné qui comptera dans le futur bénéfice 2003 de Belgacom … Gaétan accroît son expérience de mécanicien en changeant les trois filtres à gasoil de la cale moteur. La bonne humeur et la calembredaine sont à bord.


Le vent n'est plus du tout au rendez-vous et nous arrivons au moteur à Estepona, début du long mur d'habitations qui court tout le long de la côte espagnole. Soyons clair, il n'y a rien d'intéressant par ici et vu de la mer c'est laid. Nous avons eu la chance de passer le détroit de Gibraltar dans la foulée de l'arrivée alors que notre planning nous donnait 2 ou 3 jours d'attente à Barbate en cas de vent d'Est. Il reste moins de 70 milles à parcourir pour arriver à Malaga dans une semaine … Nous prenons notre temps.


La côte andalouse est inintéressante, lisse, sans criques, sans abris naturels. Nous tentons un mouillage en mer le long de la côte, mais la houlette résiduelle nous fait passer une mauvaise nuit. L'eau n'est pas claire ni transparente, elle est surtout froide : 17 degrés.


Toujours pas de vent, ce n'est pas de chance pour les équipiers de Caramel, qui n'ont jamais fait autant de moteur. De surcroît, ils attrapent une "tourista" effroyable, les clouant au lit pour plus de 24 heures. La pharmacie du bord débite tout ce qu'elle peut sans grand succès. Les heures de la nuit s'égrènent au grondement de la chasse électrique. Les tinettes sont tellement mises à contribution que les fusibles sautent à deux reprises … Michel téléphone finalement à un ami médecin, qui prescrit un antibiotique que nous avons à bord. Tout rentre lentement dans l'ordre après une semaine, les bactéries sont épuisées et la flore refleurit !


Ce matin, nous nous sommes fait dépasser sous voiles …par les deux leurres de nos cannes à pêche. Ils ont simplement pris plus de courant en profondeur que Caramel en surface ! Pas la peine d'aller plus loin, nous décidons de nous arrêter à Fuengirola, à 20 km de Malaga,


Fuengirola, c'est une ville très moche et principalement bondée par une jeunesse anglaise, assez moche aussi. Des centaines de resto-à-touristes, des pubs anglais et des tavernes berlinoises. Pourquoi les allemands et les anglais veulent-ils retrouver leurs habitudes alimentaires ici ? Michel et Gaétan, lors d'une expédition nocturne, finissent par découvrir un bar brésilien sympa où nous retournons abuser de la caïpirinha, sur des airs de sambas. Ah Brésil, que tu es déjà loin …


Nous louons une auto, pour aller découvrir Ronda, une des plus ancienne ville d'Espagne, astucieusement perchée sur une éminence rocheuse terminée par une haute falaise. Site grandiose et ville bien restaurée, nous retrouvons ici le charme de l'Espagne. Ronda c'est aussi le berceau de la tauromachie. Nous visitons les plus anciennes arènes d'Espagne et apprenons avec beaucoup d'intérêt que la mise à mort des taureaux était interdite jusqu'au 17 ème siècle. Qu'est-ce qu'on attend pour y revenir ?


Les paysages andalous sont spectaculaires, des montagnes entourent de grandes plaines cultivées. Le sol est un peu cramé par le soleil. En mai, ce doit être bien vert. L'urbanisation se densifie au fur et à mesure du retour vers la côte. Nous cheminons entre lotissements récents et "Campos de Golf". L'arrêt à Puerto Banus, est assez pénible. Bon, maintenant on a vu où il fallait être vu, mais tout cela est du déjà vu. This is a not place to be …


Grand ménage sur Caramel ce 26 juillet, la corde à linge autour du bateau fait flotter un grand pavois qui n'est pas du meilleur goût, mais il faut bien laver draps et serviettes de bain. Gaétan et Michel s'en vont à Malaga Aeropuerto … en métro. Incroyable mais vrai, une rame enterrée sous la ville, circule entre ici et Malaga. Ceci vous donne une petite idée du nombre d'habitants sur la Costa del Sol.


Par retour de métro, Catherine arrive avec sa nièce Marie-Laure et son neveu Cyrille, qui nous avait déjà accompagné il y a deux ans, entre Gibraltar et Canaries.


Caramel est resté bien assez de temps à Fuengirola et nous partons dès le lendemain dans la matinée vers Ibiza, notre prochaine étape à 325 milles d'ici. Le vent qui était d'ouest depuis des semaines choisit évidemment ce jour là pour tourner à l'ENE. Bonjour l'Europe … En plein dans le pif et c'est au moteur que nous avançons avec peine dans une mer déjà formée. La nuit nous voit chahutés et décidons finalement de mouiller 30 heures plus tard à Azohia, une baie bien protégée près de Cartagena.


La route vers Ibiza longe pratiquement la côte, ce qui nous permet le lendemain d'admirer les chaînes de montagnes côtières de la Costa Dorada, après les chaînes de buildings de la Costa del Sol … Le vent vient plus de l'Est aujourd'hui et nous profitons d'un bord de près délicieux (si si, ça existe) sur une mer belle avec 15 nœuds de vent régulier. Caramel, tout dessus, glisse en puissance à 7,5 nœuds.


Les chalutiers espagnols pêchent tout le long de la côte et il faut être attentif à leur navigation changeante pour éviter les collisions, c'est particulièrement vrai la nuit, où la vigilance est telle qu'on n'a absolument pas le temps de se ramollir durant son quart. Sur ce bord de près, nous régatons avec un autre voilier entre les passages de chaluts.


"Ohé, ohé du bateau", nous bondissons tous sur tribord pour voir qui nous hèle, persuadés que nous n'avons pas vu un autre bateau à notre vent. Rien ! Les cris continuent et nous apercevons finalement un homme à l'eau, faisant des signes du bras tout en s'époumonant pour attirer notre attention.


"Homme à la mer à 40 mètres", Cyrille jette la bouée de sauvetage et la perche IOR (sorte de longue perche flottante attachée par un filin à la bouée et surmontée d'un fanion jaune et d'une loupiote). Le Captain enroule les voiles et démarre le moteur. Nous faisons demi-tour rapidement en venant sur lui. Catherine et Cyrille installent l'échelle de bain. Nous stabilisons Caramel à côté du naufragé qui a suffisamment de force pour s'agripper à l'échelle, le temps de souffler un peu.


L'homme est âgé d'une soixantaine d'années, mais solidement bâti. Avec difficulté, il escalade l'échelle et passe la rambarde, soutenu par Catherine et Cyrille, dévoilant ainsi une surprenante nudité de son corps. Nous lui passons rapidement une serviette de bain et l'assoyions dans le cockpit.


José, c'est notre naufragé, était en solitaire et sous pilote automatique sur son voilier (Dufour de 8 mètres), pour une balade de la journée devant son port d'attache. Une envie d'uriner pressante l'invita à se soulager agréablement à la proue de son bateau, sous le vent du foc. Un faux mouvement ou une vague plus forte le fait glisser et le voilà au jus, son navire taillant fièrement sa route … tout seul en direction de l'Italie.


Notre homme avait un bon moral et un passé de bon nageur. Il décida alors de nager vers la côte distante de plus ou moins 18 kilomètres. Il nagea durant 2H30, deux chalutiers passèrent près de lui, mais le bruit des moteurs couvrait sa voix. Il lui restait encore 6 milles (11 kilomètres) à parcourir avant que nous le récupérions vers 17H00, ce 30 juillet 2003.


Il n'a pas l'air choqué de l'accident, ni même conscient qu'il n'aurait très probablement pas trouvé la force de nager jusqu'à la côte. Le personnage est volubile et nous demande l'autorisation d'avertir le centre de sécurité de la région pour signaler que son voilier navigue seul et représente un danger pour la navigation. Nous décidons finalement de ramener José à son port de départ (Santa Pola), et l'habillons de pied en cape. Entre-temps, le centre de sécurité dépêche un hélicoptère pour essayer de retrouver le voilier fantôme.


Dans un sabir franco-anglo-hispanisant, José nous raconte que le sort s'acharne sur lui, il a appris cette année qu'il avait un cancer et qu'il devait commencer à se soigner. Il voudrait nous inviter à manger, mais il n'a plus de clés, de papiers, de cartes de crédit, de sous, tout est dans son voilier que l'hélicoptère n'a pas trouvé et qu'un bateau de la Guardia Civil recherche maintenant.


Sur le NAVTEX du bord (récepteur météo automatique), nous captons le message suivant : (en anglais) "XA88 - 16H08 UTC - Message important, mise en garde, le voilier PENALARA sous pilote automatique et sans équipage à bord (of course, il était sur Caramel) fait route au 070 degrés à 5 nœuds, dernière position connue … Dangereux pour la navigation". Après Essaouira au Maroc deux ans plus tôt, Caramel est encore mêlé à l'administration pour un sauvetage.


Nous amarrons Caramel à quai et laissons un moment José aux mains des officiels qui demandent des précisions. Tout à son affaire José raconte à ses copains l'étonnante aventure de la journée en nous nommant «Mi salvadores". Nous en profitons pour aller dîner en ville et au retour, José, toujours sur les pontons, nous informe que son voilier a été retrouvé.


Cyrille a fait son service militaire au Cross d'Etel (sauvetage des vies et des bateaux) il est venu deux fois à bord et à chaque fois, nous avons du secourir un naufragé … La vie ne tient parfois qu'à une coïncidence heureuse, le croisement de la route d'êtres qui n'ont jamais rien eu en commun et qui tout à coup ont des liens forts. Le miracle de l'aléatoire, la beauté du hasard, une convergence de destins qui interpelle …


C'est pas tout ça, mais nous ne sommes toujours pas à Ibiza. Nous achevons le lendemain les 100 milles restants, la mer est belle et le vent faible d'Est. Pour notre arrivée sur Formentera (îlot au sud d'Ibiza), nous avons le plaisir de retrouver au mouillage nos copains Danielle et Patrice sur "Biche des Mers", pour une caïpirinha en souvenir de notre croisière commune au Brésil. Soirée sympa de retrouvailles où ils nous racontent leur participation de trois mois avec le syndicat suisse gagnant : Alinghi, lors de la dernière coupe de l'America en Nouvelle Zélande et leur nouvelle traversée de l'Atlantique en direction des Antilles avec la "Transat des Passionnés".


Un stop à San Antonio d'Ibiza permet de récupérer Virginie, une amie de Catherine qui arrive de Paris pour une dizaine de jours au soleil, le temps pour Caramel de nous faire remonter assez rapidement vers Majorque, puis vers les sites enchanteurs de Minorque : Mahon et Fornells. La traversée finale vers Porquerolles ne nous gratifiera pas de plus de vent : une mer d'huile parsemée de tortues qui se chauffent mollement au soleil. Profitant d'un de ces îlots flottants, une mouette opportuniste se repose, les pattes bien raides, en nous regardant passer. Elle semble dire "Circuler, ceci est ma tortue …"


Porquerolles donc, la baie du Langoustier, la Plage d'Argent : des centaines de bateaux, des jets skis en pagaille, pauvre de nous, l'arrivée est un peu dure. Nous mouillons un peu plus au large pour la nuit. Nos amis descendent à Hyères et Caramel se rend à sa destination finale avec son Captain et sa first Mate. Port Grimaud a toujours autant de charme, même si la foule d'août congestionne le village.


Quelques jours passent à nettoyer le bateau, mais le labeur est rude sous les fortes chaleurs de cet été 2003. Nous tenons à laisser Caramel pimpant pour qu'il ne se sente pas abandonné, il nous a tellement apporté. A très bientôt Caramel, nous revenons en voiture dans quelques jours pour te décharger des souvenirs qui encombrent tes cales. On emporte déjà tous les bruits, les images, les odeurs, les sensations que nous avons vécus ensemble. Merci de ta générosité et de ta sollicitude.


***


- "Alors Captain, après plus de 19.000 milles (35.000 Km) c'est la fin de nos aventures atlantiques ?"


- "Hé oui Caramel, c'est presque l'équivalent d'un tour du monde en ligne droite. On a bien mérité de se reposer un peu, tu ne trouves pas ?"


- "Peut-être, pourtant je me sens en forme. Mais dis-moi Captain, c'est comment la Méditerranée orientale ?"


- "Un peu de patience, mon cher Caramel, nous l'allons étudier plus avant …"


***


Sous la canicule à Port Grimaud - 26 août 2003





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