CHAPITRE 04 : LANZAROTE _ LOBOS _ FUERTEVENTURA _ GRAN CANARIA _ LA GOMERA _ TENERIFE
Marie nous arrive début septembre pour une semaine de farniente. Au programme les plages du sud de Lanzarote, les plus belles que nous ayons trouvé aux Canaries : de longs rubans de sable blanc entrecoupés de falaises formant des criques. A nous Playa de la Mujer ou Papagayo.
Curieusement, il y a peu de monde sur les plages, probablement parce que leur accès en voiture sur des pistes de sable est long. Les fonds de sable où nous ancrons en sécurité recèlent de beaux bancs de poissons.
La souille de l'ancre est très visitée par les petites soles et autres poissons de fond. Par contre les fonds marins des Canaries n'accueillent que peu de végétation. Une prairie verte par ci, des roches moussues par là, mais pas de champs de posidonies ou d'algues. Peut-être faut-il plonger plus bas pour en trouver ?
Les poulpes ont toujours le chic pour se fondre dans les moindres cavités rocheuses et ces animaux peureux s'enfuient dans un gros nuage d'encre dès qu'il se sentent menacés.
Nous rejoignons Corralejo, ville balnéaire au nord de Fuerteventura, où réside Michel, le fils d'une amie, et sa famille. Nous passons une excellente journée de natation sous l'île de Lobos. Nous adorons Lobos, la baie sud est protégée des vents dominants, l'eau est chaude (25°C) et ses eaux très poissonneuses. Le Captain essaye pour la première fois le fusil harpon. En une heure : cinq poissons perroquets (vieja) et un petit mérou par méconnaissance de l’espèce. Mais pas de regret pour les viejas, car ils pullulent et sont délicieux en papillote au four.
Pour la première fois nous faisons un repas entièrement prélevé sur la mer. Cela compense les efforts vains de pêche à la ligne. Catherine voudrait bien les cuire au barbecue mais quel bazar de tout installer et surtout de tout nettoyer. Nous ferons cuire quelques jours plus tard des saucisses espagnoles et mettrons deux heures à récurer la graisse carbonisée…
Nous passons la nuit au mouillage derrière la jetée du port des ferries de Corralejo et comme d'habitude le Captain plonge pour vérifier la tenue de l'ancre. Stupéfaction, le fond n'est qu'une gigantesque dalle rocheuse sur laquelle pose notre ancre et celles de 6 bateaux autour de nous. Nous ne tenons que sur le poids de la chaîne et de l'ancre. Heureusement le vent est faible mais s’il monte durant la nuit, nous devrons quitter en hâte ce faux abri. Le lendemain matin, nous nous faisons durement klaxonner par le ferry qui estime ne pas avoir assez de place pour faire sa manœuvre alors qu'il est encore à plus de 20 mètres de nous. Nous l'ignorons superbement, mais le regard en coin et la clé sur le contact moteur.
Retour à Lobos où nous sommes décidément mieux. La chasse est bonne, la baignade délicieuse. Pour faire de l'exercice, nous escaladons le seul petit volcan de l'île, une colline de +- 100 m de haut en caillasse basaltique. Marie abandonne au pied dudit cône tandis que nous grimpons lentement dans les éboulis en chaussures de marche, en maillot de bain et sous le soleil dardant. Au début de l'après-midi, c'est un exercice pénible surtout sur cette caillasse instable, mais nous avons bien besoin d'exercice physique pour compenser le manque d'activité musculaire sur le bateau.
Malheureusement, comme souvent le soir une houle venue de nulle part tourne autour de l'île et nous roule généreusement. Catherine préfère retourner à Corralejo pour la nuit, sur notre dalle de roc.
Le lendemain nous remontons sur Puerto Calero à Lanzarote via les plages et faisons connaissance avec les premiers bateaux du Rallye des Iles du Soleil dont un autre super Maramu.
Le parcours circum-atlantique est parsemé de drames psycho-plaisanciers, en effet les bateaux parvenus aux Canaries sont en route depuis déjà 2 à 3 mois et les premiers séismes relationnels sont déjà bien apparents. Parce que les choses ont été mal exprimées au départ entre le propriétaire du bateau et ses équipiers, ou plus souvent parce que les caractères se découvrent ou ne se contiennent plus dans les espaces confinés des bateaux même les plus confortables.
Nul n'est à l'abri, même les caractères les plus flexibles et patients s'enfoncent parfois dans l'incompréhension et la résistance. Si une longue cohabitation est prévue, la seule issue possible est la séparation, plongeant parfois le skipper et son bateau dans les abîmes des rêves brisés. C'est malheureusement vrai pour des équipiers amis de longue date comme pour ceux fraîchement rencontrés.
Nous avons rencontré aux Canaries quelques cas caractéristiques avec qui nous avons par ailleurs gardé d'excellentes relations, mettant en évidence la différence entre l'agréable moment que l'on passe de temps en temps avec un ami et l'impossibilité de vivre en permanence avec lui.
Notre copain Reinhard était parti avec deux équipiers d'Allemagne. Le premier a débarqué en France de son propre chef, il en avait assez de la mer. Le second s'est fait virer par Reinhard aux Canaries parce que ce malheureux médecin retraité se lavait les main en toutes occasions au point de ne pas être disponible aux moments critiques, à l'amarrage par exemple. Nous avions fait la connaissance de Reinhard à La Gracioza lorsqu’un jour à 07 heures, il avait arraché trois chandeliers et un hauban sur notre étrave, alors qu'en solitaire il quittait le ponton en omettant de défaire une amarre ... On s'est revu trois fois depuis lors dans l'archipel, c'est un homme dynamique sportif et amoureux de la nature. Son moral va mieux, il escalade les volcans des îles et un peu à cause de nous, il restera cet hiver ici pour repartir l'année prochaine au Brésil, avec un nouvel équipage. Bonne chance à toi et ton bateau «REVO".
Jean est retraité depuis cinq ans et a choisi de faire un tour du monde très rapide sur 2 ans, plutôt que de s'encroûter devant la télé. Il a donc acheté un bateau d'occasion, il l'a équipé sérieusement et comme sa femme travaille toujours, il a passé des annonces dans les revues nautiques. Interviews, analyse des compétences, essais en mer, cet ancien directeur des ressources humaines fait les choses sérieusement. Il sélectionne un équipier pour les deux années à venir plus quelques renforts pour les traversées. Deux mois plus tard, son équipier quitte le bord sans demander son reste, car d'une part il acquittait un écot de 10.000 FF par mois de partage de frais et son épouse abandonnée en France commençait à ressentir des humeurs d'infidélités. Finalement parce les conditions étaient mal explicitées au départ et peut-être le candidat mal choisi. Jean est seul, déprimé et nous l'invitons à dîner quelques fois. C'est un convive agréable et nous lui remontons le moral. Il a retrouvé un nouvel équipier en France et continue son trajet. Bonne chance aussi.
Catherine devient spécialiste des pimientos et des papas. Pour préparer
les pimientos : un fond d'huile d'olive, une poignée de gros sel (de l'île de Ré si possible). Frire quelques minutes pour bien ratatiner. Déguster ensuite. C'est la loterie, c'est souvent délicieux, c'est parfois explosif. Catherine est également la reine des clafoutis, des quiches et autres tartes aux tomates.
Nous câlinons Caramel pour nous faire pardonner de rentrer en Europe une quinzaine de jours. Chromes et brosses de pont, cadenas et clés, adieux aux copains qui continuent et bonjour l'aéroport.
Cela nous fait évidemment très plaisir de voir nos familles et nos amis mais beaucoup moins la pluie de ce mois de septembre 2001 pourri. Ces deux semaines sont peu de choses mais elles bousculent le rythme et le charme du voyage. Notre maison c'est pour l'instant là-bas. Nous revenons avec plaisir à Lanzarote, accompagné de nos amis Marie-Paule et Jacky.
Super, nos amis liégeois de Baligand sont arrivés. C'est un Super Maramu dont ils ont pris livraison début juillet. Chacun inspecte le bateau de l'autre pour regarder ses idées personnelles. Nous nous retrouverons régulièrement aux prochaines escales : classique.
Avitaillement et tourisme pour nos amis avant de filer vers le sud le long de l'île de Fuerteventura que nous ne prenons pas le temps de visiter car elle est assez semblable à Lanzarote. Nous avons envie de découvrir maintenant les îles de l'ouest, en principe plus vertes.
Une brise légère nous porte vers Gran Canaria, la surface de la mer est assez lisse pour apercevoir une petite tortue marine empêtrée dans un grand plastique blanc. Jacky manœuvre le bateau autour de la petite prisonnière. Catherine armée de la gaffe s'apprête la dégager. Elle se débat de peur et fini par se libérer seule. Ouf, nous récupérons la bâche pour la jeter, c'est la bonne action du jour.
Arrivée à Las Palmas, capitale des Canaries, plus de 600.000 habitants. Fini les villages de montagnes de Lanzarote. Le port de plaisance est bien réaménagé, ce qui n'est pas pour nous déplaire. Nous retrouvons nos copains bateaux de Puerto Calero. On peut tout avoir ici, c'est une escale technique excellente en cas de pépin et le bateau est en sécurité. Notre bon Caramel reçoit un nouvel élément réfrigérant du frigo, mesure de précaution du constructeur, suite à un défaut de série que nous n'avions pas remarqué. Merci Amel.
Tourisme à Gran Canaria qui ne nous laissera pas un souvenir inoubliable, seule la vallée nord au dessus de la ville est verte et plaisante. Le reste de l'île est sec et plutôt quelconque (on ne va pas se faire des amis). La ville pourtant recèle beaucoup de points d'intérêts culturels et artistiques. Nous visitons le palais du gouverneur et le musée des Guanches, peuple natif des îles avant la colonisation des nations européennes. Catherine et le Captain ont la chance de tomber par hasard sur un défilé "campagnard", en costumes traditionnels qui se termine par la distribution de fruits et légumes aux badauds dont nous faisons partie. La cathédrale est très belle et richement décorée.
Dans le pays, les cultures de banane sont amusantes, car pour les protéger du vent et contrôler l'arrosage, des champs de plusieurs dizaines d'hectares sont complètement enfermées par un tissu maillé vert, façon Christo sans le côté artistique (?). Mais qui a inspiré l'autre ?
Aller zou, on s'en va plus à l'ouest. La traversée du détroit entre Gran Canaria et sa petite soeur La Gomera est musclée, un phénomène local bien connu d'accélération du vent par effet venturi produit un costaud 35 noeuds pour un vent de 10 noeuds le long des côtes. Jacky prend plaisir à barrer et à négocier les vagues qui nous poussent jusqu'à la petite marina de San Sebastian.
En venant de la grande ville ce village est d'un autre temps. Ici à La Gomera, le tourisme ne s'est pas encore développé car l'aéroport est petit et en fonction depuis moins de 2 ans. La marina privée est neuve et une plage de sable noir est juste à côté. Catherine est ravie et se baigne chaque jour.
Nous visitons la charmante "maison" de Christophe Colomb, c'est à dire celle qui l'a abritée durant quelques semaines avant son grand saut vers le nouveau monde. Ici les vieilles maisons n'ont pas de vitres, mais seulement des volets de bois dont on peut ouvrir une petite partie centrale. Cela donne une idée de la constance du climat local.
La Gomera est bien plus petite que Lanzarote, mais en faire le tour prend bien plus de temps, car la topographie est escarpée. Dès 200 m d'altitude, le climat change, il fait humide. Les nuages "collent" au relief, la végétation se densifie et se diversifie, les palmiers voisinent sereinement avec les châtaigniers. Nous aboutissons finalement dans la forêt qui couronne l'île. Nous nous y baladons. C'est étrange, le soleil nous arrive à peine, l'odeur d'humus nous rappelle les forêts de chez nous, des mousses blanches couvrent les troncs et des lichens dégringolent des branches. Comme la simple présence d'eau (douce) peu changer la terre.
Depuis notre arrivée, Théodore Resnoy, ukrainien de son état prépare son bateau pour une traversée de l'Atlantique à la rame, nous venons lui rendre visite plusieurs fois et lui offrir un paquet d'abricots séchés. Le jour de son départ toute la marina lui fait un concert de hourras et de corne de brume. Vraiment émouvant de voir ce grand costaud blond tirer sur ces avirons avec les larmes aux yeux. Bonne chance à toi aussi Théo, tu n'as pas choisi la voie la plus facile. Quel cran, chapeau bas.
Il va ramer 3 mois et vous pouvez suivre son avance sur oceanrowing.com.
Nous aimons beaucoup cette petite île, mais nous voyons de gros projets immobiliers en construction. Dépêchez-vous d'aller dans cette petite bulle de paradis.
Il nous reste une semaine avant le départ de nos amis et nous devons remonter au vent pour rejoindre Tenerife. Oublions pour cette fois La Palma dont on dit beaucoup de bien et Hierro qui sont plus à l'ouest et remontons au nord. Nous partons de nuit pour essayer d'éviter les accélérations de vent de la journée et contournons Tenerife par le nord. Nous ferons finalement une très longue journée au moteur avec un peu de vent en plein dans le nez. C'est le moment de faire un peu de lecture. Finalement c'est surtout en mer que nous avons le temps de lire, à terre toujours quelque chose à faire.
Arrivée sur Santa Cruz de Tenerife après une dernière nuit très rouleuse au mouillage. Nous y retrouvons comme de bien entendu la totalité de nos bateaux copains et les premiers arrivés du Rallye des îles du soleil. C'est d'ici que nous partirons dans quelques jours vers notre périple.
Jacky et Marie-Paule préparent un programme de visite de l'île en voiture : grand tour et visite de Puerto Mogan, du Pic du Teide, le plus haut sommet d'Espagne (3718m), les innombrables plantations de bananes, les vallées vertes du centre de l'île, la très agréable ville de Puerto La Cruz, et le jardin botanico presque bicentenaire. C'est un concentré de toutes les Canaries de l'ouest. Si il faut en faire une c'est celle-ci. Nos amis nous quittent le 20 octobre et nous nous affairons à la préparation du bateau.
Nous sommes contents d'être un peu seuls, car il est difficile de faire comprendre à nos amis équipiers qui viennent à bord pour leurs vacances de quelques semaines que nous vivons sur le bateau et que comme eux en Europe nous ne souhaitons pas faire du tourisme tous les jours, au risque de rater certaines choses. Nous déclinons donc parfois certaines excursions.
Grand nettoyage et polish des chromes (2 jours pour le polish rontudjûû). Et petites récréations quotidiennes : le shopping et la découverte de la ville à byciclette pour Catherine et un petit tour avec Caramelita (annexe à voile) dans le port pour le Captain.
La ville de Santa Cruz est idéale pour préparer le grand départ, tout se trouve ici au niveau avitaillement. La grande distribution française est très présente via Auchan (Al Campo) et Carrefour qui ont de grands hyper-marchés. Quelques shipchandlers permettent également de trouver du matériel nautique.
L'avitaillement de Caramel se fait sur 3 jours : d'abord 2 grands caddies de conserves, ensuite la veille du départ 2 grands caddies de frais et le pain le dernier jour. Catherine note sur toutes les boites au feutre indélébile le contenu de la boite, afin de visualiser nos provisions rangées verticalement dans les cales.
Tout est sorti des cales dans un premier temps et nous trions les provisions dans le cockpit suivant leur nature. Un formidable déballage, il y en a partout. Catherine en fait l'inventaire et le Captain range sous les planchers. C'est étonnant ce que l'on met sous les planchers. Ce qui nous semblait monstrueux sur le pont laissera encore deux coffres disponibles. C'est ça le bateau de voyage et c'est ce qui manque souvent sur les bateaux de grande série.
Nous organisons un pot sur le ponton pour les bateaux du Rallye déjà présents, mais l'invitation est lancée alors qu'il y avait 6 bateaux et ils sont quatorze le jour du pot. C'est 50 personnes que nous accueillons sur le ponton flottant qui commence à prendre une forme de banane derrière Caramel. Très sympathique ambiance qui nous permet à tous de faire connaissance.
Daniel arrive le 24 octobre. Il nous accompagnera jusqu'à Dakar. Dans ses valises, un plein d'article d'articles que nous lui avons demandé de ramener de Belgique (merci aussi Chantal pour les chocolats noir à l'orange) pour parfaire nos équipements et avitaillement.
Tous les bateaux sont maintenant là, les derniers préparatifs sont terminés et les pannes réparées. La mairie de Santa Cruz et le Consul de France nous convient à un cocktail à la Mairie. Le nouvel organisateur du Rallye, Philippe (et son assistant Yann) dans son discours de remerciements baptise 'Edition Georges Baurens' le Rallye de cette année en mémoire de feu Georges, fondateur de l'évènement si rapidement disparu en mars.
Mercredi 24 octobre, les 17 bateaux sortent en file indienne du port pour passer devant le Yacht Club en paradant. Les plus petits bateaux prennent le départ en direction du Cap Vert. Les autres rentrent pour une dernière nuit au port.
Caramelita est repliée, les tauds sont dans les coffres, le frigo est plein. Il fait beau, nous avons envie de partir. Seul problème, la météo n'annonce pas de vent pour les 5 prochains jours ! Nous nous hâtons d'acheter 5 jerry-cans de 20 litres pour nous donner une autonomie suffisante afin d'atteindre le Cap Vert au moteur. Les bidons rouges fixés dans le bastingage donnent à Caramel un sérieux air «tourdumondiste».
Départ pour nous le 25 octobre à 18 heures pour notre plus longue traversée à ce jour : 900 miles (1600 kms).
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Catherine & Patrick à bord de Caramel - Mindelo - 05 novembre 2001